La Période Révolutionnaire (1793)

(Source : Pierre Millet – Almanach 1912)

    

La paroisse de Notre Dame de Grâce, jeune de 50 ans, ne peut feuilleter de longues annales. On a à peu près tout dit quand on a raconté l’histoire de sa chapelle, sa fondation, son développement et le bon esprit qui continue de l’animer. Cet esprit elle le doit à sa tradition et à la fidélité de ses pères, à leur religion dans les jours troublés de la révolution; ils furent en effet des vaillants et aucun, ni des pasteurs, ni des paroissiens ne firent défection.

Née toute entière de la paroisse de Genrouët, les évènements que nous allons raconter avec ceux de sa mère elle-même ou plutôt, lui appartiennent en propre; cependant que N. D. de Grâce revendique la page la plus glorieuse dans ce drame lugubre qui ensanglanta nos paroisses du sang de leurs pasteurs. Le chapelain de N.D. de Grâce, M. Letourmy, fut pris à son poste et fusillé par les Bleus sur son territoire.

La paroisse de Guenrouët comptait au commencement de la révolution cinq prêtres travaillant au salut des âmes: MM. Jean-Baptiste Lebeau, Thomas Lebeau, Guillaume Legrand, Pierre Létourmy et Mathurin Landron.

Trois enfants de la paroisse furent successivement curés de Guenrouët.

  • J.-B. Lebeau curé et Thomas vicaire; celui-ci neveu du premier lui succéda.
  • Guillaume Legrand était maître d’école.
  • Pierre Létourmy, chapelain de N. D. de Grâce.
  • Mathurin Landron, vicaire, puis chapelain de Bolhais.
  • M.Landron, cousin cousin germain du précédent, né au Clos, était vicaire àVay.
  • M.Courtois, né à Melneuf, vicaire à Plessé; M.Vauléon, prêtre habitué à Plessé.

Quatre jeunes étudiants se destinaient à l’état ecclésiastique: Jean Legrand fusillé comme requis, Landron, rentré dans la vie commune, Jean Cado, neveu de Guillaume Legrand, devint notaire et maire de Guenrouët, enfin Roland Trégret qui devint chef des royalistes en Morbihan.

La position avantageuse du bourg de Guenrouët à égale distance de Savenay, Blain et Redon, le fit choisir pour lieu d’un cantonnement à un détachement de troupes républicaines. Là comme partout, l’arrivée de la farouche bande fut signalée par de monstrueux excès.

L’église paroissiale dont on avait enlevé les vases sacrés et les objets de culte, fut livrée à la profanation: les forcenés renversèrent les autels, brisèrent les statues et les jetèrent dans un lieu infect. Les cloches furent enlevées , emmenées à Savenay pour être monnayées. L’église devait être brûlée, mais comme la république y laissait garnison elle fut conservée et transformée en écurie pour loger les chevaux pendant que le presbytère devenait une caserne pour les hommes.

Ces actes de vandalisme et d’impiété accomplis, les barbares soldats songèrent à les renouveler dans les autres sanctuaires de la paroisse. Guenrouët possédait trois chapelles où l’on disait la messe: celle de N.D. de Grâce, de Bolhais et du Cougou. La chapelle du Grény était une chapelle privée, N. D. de Grâce était la plus ancienne et la plus célèbre.

Les Bleus s’y rendirent; ils se disposaient à y mettre le feu, lorsque Mme Bédard, dont la maison était proche leur dit: « Mais, citoyens, si en brûlant la chapelle, vous brûlez ma maison et les autres dans le village, nous les bâtirez-vous? Qu’est-ce qui vous gêne? Vous voudriez qu’il n’y eu que les quatre murs? Eh bien je me charge « de la faire découvrir à mes frais ».

On se mit à l’oeuvre en présence des soldats de la République, la troupe une fois partie on arrêta le travail, il n’y eut que le choeur qui fut découvert et elle resta en cet état pendant tout le temps de la Terreur. Les Bleus n’y trouvèrent ni ornements, ni vases sacrés. On avait fait disparaître ces différents objets. Une des cloches avait même été descendue et soigneusement cachée.

Après la Révolution cette cloche fut transportée à l’église paroissiale de Guenrouët, refondue, augmentée, elle servit jusqu’à l’année dernière, en pleurant d’une voix éteinte son clocher en ruine, elle dut céder la place à quatre jeunes dans une élégante demeure. La chapelle de Bolhais élevée par Sébastien Legrand et dédiée à Saint-Sébastien fut brûlée; les habitants des villages environnants, avaient pris la fuite et aucun, ne voulut d’une façon quelconque participer à l’incendie du lieu saint. Il n’en fut pas ainsi de la chapelle du Cougou, qui fut épargnée grâce à l’intervention des patriotes du Gué.

Il est à remarquer que la partie du Haut-Guenrouët, c’est-à-dire des Brives et de Grâce resta fidèle à ses prêtres et à ses bons principes: les prêtres étaient en sécurité, on se faisait honneur de les cacher et d’assister à leur messe.

On ne pouvait en dire autant du Bas-Guenrouët et de la prairie du Gué qui comptaient de bons chrétiens mais aussi plusieurs patriotes. Comme en témoigne M. Orain, lui même, lequel ne croit pas avoir été dénoncé par eux.

Pourtant les révolutionnaires mirent tout en oeuvre pour détruire dans les paroisses les pieuses pratiques de la religion; les habitants de Guenrouët catholiques zélés et fervents surent résister aux séductions comme aux menaces des farouches républicains? A l’exception d’une dizaine de familles de Réthaud et aux environs de deux traîtres au Haut-Guenrouët, tous se montrèrent les enfants dévoués de l’église catholique persécutée. Gilles Legrand Chauvelet et Guichon étaient le hommes les plus dévoués aux prêtres qu’ils cachaient chez eux.

Ils avaient en horreur les intrus et étaient indignés de la conduite coupable des patriotes du Gué.

En vain les soldats cantonnés au bourg essayèrent-ils de corrompre les habitants en les forçant à travailler le dimanche et à garder le décadi (dixième et dernier jour de la décade dans le calendrier républicain, il remplaçait le dimanche); la population résista énergiquement et ne se soumit jamais aux folies républicaines. Les pieux habitants des villages assistaient régulièrement à la messe soit à Fégréac ou M. Orain continua au péril de sa vie, l’exercice de son ministère, soit à Sévérac, à Plessé ou à Campbon, le plus souvent dans la paroisse même, où la messe se disait à peu près régulièrement.

Tous les samedis des femmes courageuses donnaient le mot d’ordre et indiquaient le lieu et l’heure de la réunion.

Quelquefois c’était le jour et on avait soin de placer des sentinelles sur les points les plus élevés pour donner l’éveil en cas de danger; tantôt c’était la nuit et l’on prenait les précautions que commandait la prudence. Un dimanche c’était dans un village, le suivant c’était dans un autre.

Les villages où on la disait le plus souvent étaient ceux de La Touche, Lévrisac, Quinhu, Le Dru-en Grâce, Crandas, le Bignon et surtout au Clos dans la grange de Jean Legrand.

L’autel était vite dressé: quelques planches sur deux barriques: on apportait tout ce qui était nécessaire pour le Saint-Sacrifice et la messe terminée on remettait chaque chose à place. Des personnes sûres cachaient soigneusement les objets nécessaires au culte divin. Jamais pendant la période révolutionnaire on eut à déplorer le moindre accident fâcheux. Le dimanche on récitait le chapelet… de pieuses lectures.

Ces moeurs chrétiennes ne sont-elles la reproduction de la primitive église? Unis dans la même charité, les habitants gardaient fidèlement le secret par rapport à leurs prêtres cachés dans la paroisse; tous avaient à coeur de remplir leurs devoirs religieux, on ce confessait, on communiait, les autres sacrements étaient administrés selon les besoins, et les circonstances, on fit même la première communion des enfants une fois au Clos et une autre à la Massiais. Ainsi peut-on dire que la paroisse de Guenrouët ne fut aucunement privée des secours de la religion pendant la persécution.

Après la triste et funeste défaite de l’armée vendéenne à Savenay une partie des débris de l’armée vaincue vint se réfugier dans la paroisse de Guenrouët. Ils y furent accueillis, comme des frères malheureux, nourris, cachés charitablement. Quant ils ne voulaient pas séjourner dans la paroisse, on les dirigeait vers Pont-Nozay et la Morissais et on les passait en bateau dans la paroisse de Fégréac et de Plessé.

Nous le répétons donc, si les fidèles de Guenrouët ont tenu une conduite si admirable et si chrétienne, on peut l’attribuer aux prêtres saints et vertueux qui travaillaient au salut des âmes depuis bien des années avant même que la révolution n’éclatât, il faut l’attribuer aussi au zèle et au dévouement de ces confesseurs de la foi qui restèrent au milieu d’eux pendant la tourmente pour les guider et les encourager dans la pratique du bien, leur prouva que le clergé n’est pas un mercenaire ou un fonctionnaire qui plie à tous les caprices, mais un pasteur fidèle qui au besoin donnera sa vie pour ses brebis.

Nous verrons dans un autre article comment le chapelain de N. D. de Grâce versa courageusement son sang pour son cher troupeau.

Puisse se sang du martyr le garder indéfectible dans la tourmente actuelle.


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