Notre Dame de Grâce depuis sa Fondation en 1845

(Source : Pierre Millet – Almanach 1909)

L’antique chapelle du IXème siècle a cédé sa place à une église plus vaste et plus appropriée a sa destination; un grand calvaire domine et couronne le plateau, étendant ses deux bras pour bénir les nouvelles demeures qu’il protège; la voix sonore de quatre cloches et d’un beffroi convie chaque jour à la prière; c’est le triomphe de Dieu sur la nature inculte.

Mais ne devançons pas les temps et laissons à plus tard l’histoire de l’église actuelle, pour nous entretenir aujourd’hui de la transformation matérielle depuis que Grâce est un centre religieux (une paroisse).

Certes, elle était bien étroite et bien pauvre la chapelle de N.D. De Grâce: les statues qui restent témoignent de sa simplicité. Comme la plupart de celles qui couronnent encore les landes bretonnes, elle était négligée depuis qu’on l’avait privée de son chapelain et de ses bienfaiteurs, les seigneurs de Coislin.

(Il  manque quatre ou six lignes)

En 1845, sur le vœu de la population, en vertu d’un décret royal et d’une ordonnance épiscopale, elle fut érigée en église paroissiale, et recevait pour premier curé, le 12 janvier 1845, jour de la solennité de l’Epiphanie, Monsieur Donatien Cheminant, de St Donatien de Nantes. Dieu allait définitivement avoir un trône au centre d’une circonscription nouvelle, et loger dans l’humble chapelle, en attendant une demeure plus spacieuse et plus convenable.

A une époque ou le gouvernement de Louis-Philippe, pour faire oublier sans doute une opposition sournoise à l’Eglise, semblait accorder plus de liberté, il était urgent de profiter des circonstances pour créer une succursale dans cette immense paroisse de Guenrouët, qui  comptait, du seul côté de Grâce, plus de deux lieues (une lieue = 4 km), à travers des landes, par des chemins impraticables et coupés par une rivière.

Saint Omer venait d’être créé et n’avait pas de vicaire, Quilly, plus rapproché, n’en avait pas non plus; aussi est-ce avec une fierté bien légitime, mêlée d’amertume toutefois, que les anciens et surtout les anciennes nous racontent qu’ils n’hésitaient pas, dans la nuit, en hiver, à faire plusieurs lieues pour entendre la messe, tantôt à Bouvron, Plessé ou Guenrouët, souvent arrivés les premiers, avec des chaussures pleines d’eau ou de neige. Oh ! Les braves chrétiens !

L’une de ces dernières, à 80 ans se rappelle avoir été première au catéchisme à Guenrouët, quoique n’ayant jamais été à l’école, et personne ne réussit à la déposséder de cette place honorable!

Oh !  Temps héroïques de la foi, seriez-vous finis ?

Le prince de Joinville, troisième fils de Louis-Philippe a acheté en 1838 le château de Carheil qu’il embellissait pour en faire sa demeure habituelle; sa protection serait donc assurée pour la nouvelle paroisse. Celle-ci devait comprendre tous les villages actuels, plus les fermes construites depuis. Le centre du village de Grâce.

Pour asseoir le nouveau bourg, aucun emplacement n’offrait plus splendide panorama: à une faible distance Genrouët et Saint-Clair; un peu plus la flèche élancée de Plessé; puis la forêt du Gâvre, en avant de laquelle s’étendent les plaines verdoyantes qui jadis n’étaient que landes arides; ensuite Bouvron, Quilly, Campbon, Sainte Anne et la plaine arrosée par le Brivet; dans le lointain, Pont-Château, Saint Gildas avec sa grosse tour et le joli bosquet qui couvre le couvent des religieuses.

En face de Grâce dont il est séparé par  la vallée de l’Isac, et semblant le saluer à son réveil, s’élève le château princier de Carheil, une célébrité de la région, avec sa chapelle, ses terrasses, ses jardins, ses prés et  ses bois.

Construit par le cardinal de Coislin, évêque de Metz, sous Louis XIV, il fut pendant deux siècles la propriété des marquis de Coislin. Vendu en 1838 au prince de Joinville, il fut acquis en 1852 par le baron de la Motte.

A ses pieds, et avons-nous dit, le séparant de Grâce, coule l’Isac, ombragé d’une frondaison superbe, avec ses replis sinueux, ses pentes tantôt abruptes, tantôt adoucies.

De l’autre côté, de vastes landes s’étendent de Carheil à Quéihillac et à Coislin, à peine coupées ça et là de fermes semées comme un oasis plus ou moins riches, tant la culture des landes était délaissée et tant on dédaignait à cette époque de bâtir isolé, loin des villages et des bourgs.

Le village de Grâce se composait de deux fermes, une auberge, quelques maisons de chaume qu’on voit encore comme de vieux tableaux défraîchis dans un cadre nouveau. Si le père Biget, en qui se personnifiait l’ancien Grâce, soulevait la poussière de sa tombe, il retrouverait encore le four banal comme un point noir au milieu du bourg; mais il se lamenterait sur sa chaumière disparue et remplacée par d’importantes constructions.

Le plateau où régnait la lande se couvre aujourd’hui de maisons de commerce de grains, d’animaux, de machines agricoles, voire même de dépôt de superbes étalons; magasins de nouveautés, épiceries, merceries, et tailleurs à la mode. La lande s’est changée en plaine où jaunissent les moissons, où verdissent les fourrages, où fleurissent les pommiers, et les vallées sont devenues de fertiles prairies.

A la ruine de l’illustre et importante famille de Coislin, M. Brosseau de Blain, M. Le Cour armateur et Babin-Chevaye constructeur de navires à Nantes, achetaient , vers 1855, d’immenses terres, alors sans valeur, et qui sont aujourd’hui, grâce à leurs soins intelligents, de grosses métairies; à peu près tout ce qui est compris entre Grâce, Couëlly, Le Clos, la Burdais et Bolhais.

Les noms des nouveaux propriétaires disent assez quelle heureuse influence ils exercèrent sur le pays.

Le Cour est le chef de la famille qui a donné deux sénateurs au département et qui s’honore d’être toujours au premier rang pour le service de la France et de la religion. M. Le Quen d’Entremeuse, son gendre, devenu propriétaire de la terre de Grâce, désirait en faire son lieu de résidence. En peu d’années, il conquit une profonde autorité. Ravi trop tôt, hélas ! Victime de son zèle au service de Dieu (c’est en portant le dais à Grâce, le jour de la Fête-Dieu, qu’il fut frappé d’une insolation, des suites de laquelle il mourut douze jours après), il a passé en laissant un regret vivant et cher : son intelligence élevée, sa piété (il avait voulu être prêtre et jésuite) et une douce simplicité le mêlaient aux humbles paysans sans affectation et sans bassesse. On peut dire de lui qu’il fut l’homme de Grâce : il aimait, il était aimé et suivi. M.Babin-Chevaye était l’homme bon et populaire par excellence. Nantes en fit son député catholique en 1871. Il mourut au moment où s’achevaient la réparation et l’agrandissement de son petit castel du Pré-aux-Sourds, où il comptait venir jouir d’un repos bien mérité. Madame Babin qui lui survécu, fut longtemps la providence de Grâce, qu’elle affectionnait particulièrement: l’église, l’école religieuse, les pauvres lui doivent reconnaissance des bienfaits aussi nombreux que délicats. Ses enfants n’ont pas seulement hérité des terres, ils gardent comme un précieux héritage de famille les sentiments de leurs parents, et ce n’est pas présomption de notre part de dire que leur préférence sera toujours pour l’agréable castel du Pré-aux-sourds, patrimoine de famille. M. Louis Babin et M. Marcel Bureau tiennent à honorer de continuer ces nobles traditions, et Grâce leur rend en estime et en sympathie ce qu’ils ont fait pour son bien matériel et religieux. Heureusement les populations qui ont à leur tête des familles honorables et chrétiennes, toujours à donner le bon exemple  et à se dévouer au bien commun.

La division des idées subversives n’y pénètre pas, l’exemple partant de haut est d’une salutaire influence.

 

En suivant le Canal…

Le canal de Nantes à Brest suit le cours de l’Isac et partage la paroisse en deux parties à peu près égales, que relient entr’elles les ponts de Melneuf et de Pont-Nozay et le bac de la Touche; deux écluses en retiennent les eaux.

Sans avoir les commodités ni les avantages d’une voie ferrée, le canal sert beaucoup au commerce local: dix bateaux chaque jour emportent ou amènent, de Nantes à Redon, les bois, les grains, les engrais, les matériaux de construction et au besoin les denrées alimentaires.

Mais tandis que le prosaïque chemin de fer fatigue et gêne, les rives poétiques de notre canal enchantent et reposent; chose appréciée des amateurs.

Descendons si vous le voulez bien, le fil de ses eaux claires et lentes, dans tout le parcours de notre paroisse, c’est à dire de La Touche à Carheil (environ deux lieues soit huit kilomètres).

Sur la rive droite, La Touche, beau et grand village. Vous plaît-il de visiter? Vous recevrez l’hospitalité chez le bon père Legrand, premier adjoint de Grâce depuis quarante ans, c’est-à-dire, qu’il est le roi du village.

A gauche et en face, Lévrisac avec la ferme de La Cour et les vestiges du vieux château de la Motte-Isac. Ce nom de Lévrisac n’est-il pas son étymologie, et ne serait-point les lèvres de l’Isac  (bords resserrés et escarpés) que le château gardait ?

A droite, Quinhu s’étend mollement à mi-côte entre les moulins de Haut-Breil et l’Isac, sur  ses coteaux réputés dans toute la contrée, comme étant les plus fertiles et les plus riches en bon  cidre. Ce village  est séparé du canal par les bois du Plessis comme celui de Lévrisac l’est par les bois du Pré-aux-Sourds dont les vallons serpentent les prairies qui laissent apercevoir dans une échappée la silhouette du gentil manoir.

Immédiatement en aval de Pont-Nozay, à gauche, les coteaux abrupts et les bois de la Houssais gardent toujours le secret du mystérieux suicidé de 1860.

Plus près de Grâce, faisant face à la Houssais et se baignant dans le canal, le logis d’Evedet, propriété de Monsieur Paul Gruget, employé au ministère de l’intérieur, remplace un ancien prieuré, ayant lui-même succédé à une ancienne léproserie dédiée à Saint Thomas, dont on voit encore la fontaine; les murs d’une partie intérieure de la maison dénotent une ancienne chapelle. Ce prieuré relevait, si nous ne trompons, de l’abbaye de Saint Gildas-de-Rhuys, dont les marquis de Coislin étaient seigneurs.

Là résidaient, avant la révolution, un prieur ou chapelain; les biens qui dépendaient du prieuré furent vendus comme biens « dits nationaux »; un M. Lefrançois en devint ensuite acquéreur et les revendit vers 1860 à M. René Gruget qui a fait restaurer et agrandir la maison, il y a une vingtaine d’années.

Quelle est sur la rive opposée cette chaumière cachée comme un nid de verdure? C’est Juzan; là tout est antique, c’est le vieux Grâce. D’aucuns prétendent que la mer jadis y faisait sentir son flux (le jusant d’où ce nom Juzan); la canalisation a mis depuis des barrières à la mer même. A Juzan, l’honneur et le soin de garder le monument et la fontaine célèbre de Notre Dame de Grâce. Il ne faillira pas à ce devoir.

Après l’écluse et le pont de Melneuf, le canal s’éloigne de la Douettée, mais pour reparaître bientôt sur un autre point. Par un circuit capricieux; mais ravissant, la rivière, après avoir caressé le bois (Bois sacré qui fut arrosé du sang d’un prêtre  martyr) et le village de l’Ongle, sur son rocher, retourne vers la Douettée, enlace dans ses plis amoureux une riche plaine, coule doucement au pied du château de Carheil, semblant quitter à regret cette délicieuse vallée pour se rendre dans les marais de Fégréac et enfin se jeter dans la boueuse Vilaine.

C’est ce beau site que couronnent aujourd’hui le grand calvaire et la flèche aigüe du clocher de Notre Dame de Grâce.

Nous n’avons point la prétention d’avancer que le pays doit à l’établissement du culte religieux le développement de son agriculture et de son commerce. Loin de là; la religion n’est pas comme quelques-uns le pensent une affaire commerciale. Nous savons ce que le temps et l’esprit d’initiative, aidés des facilités de communication, ont fait dans ce genre, mais ce qui est incontestable, c’est que la formation d’un groupe religieux est le meilleur moyen de donner la vie à toute une population de croyants et d’établir des relations si favorables aux affaires.

Notre Dame de Grâce est un pays essentiellement religieux. Une race forte, industrieuse, unie dans les traditions qui font les cœurs généreux et dévoués, y vit et fournit en différentes situations de bons serviteurs à l’église et à la France.

Ici, grâce à Dieu, nous ne connaissons pas les luttes intestines qui brisent l’élan pour le bien. Unis dans les mêmes croyances, nous jugeons tous que rien n’est comparable au sol que nous cultivons, plus agréable que la famille, plus cordial que l’entente dans nos villages, plus doux au cœur de nos fêtes religieuses

Nous aimons nos églises et l’hôte divin qui y habite; nous les aimons comme les aimaient nos pères, et tant qu’il ne sera pas prouvé qu’on est plus heureux en reniant son passé et sa foi, nous gardons respect en nos prêtres et fidélité à Dieu.


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