Avant Propos (par Pierre MILLET – Octobre 2008)

Au cours de l’année 2007, j’ai découvert des Almanachs paroissiaux datant des années 1908 à 1914.

Certains numéros avaient les feuilles éparses et mélangées, déchirées parfois. J’ai eu quelques hésitations pour reconstituer et classer la chronologie de certains exemplaires. Grâce aux premières pages lorsqu’elles étaient à leur place, puis aux évènements par année: Baptêmes, Sépultures, Mariages…. Enfin, au suivi logique de cette chronique.

Pour conserver ces pages d’histoire, j’ai pensé nécessaire de les reproduire afin de pouvoir faire partager leur contenu à ceux qui le désirent, sans risque de perte des originaux ou de détériorations supplémentaires…

L’origine de notre pays peut-être située autour du Xème siècle, le culte à Notre Dame de Grâce est traditionnellement situé à cette époque, et le village de l’Evrizac est mentionné en 1092 dans le dictionnaire du Comté Nantais. Autres faits marquants: la période révolutionnaire, la constitution de la paroisse, la construction de l’église et de l’école des soeurs, enfin les noms des curés et vicaires successifs qui ont contribué au développement de la paroisse.

En lisant puis saisissant les narrations de cette épopée, j’ai ressenti le choc éprouvé dans beaucoup de paroisses après la séparation de l’Eglise et de l’Etat, en 1905, qui se trouve fortement présent dans les écrits du (ou des) rédacteur(s), rédigés à partir de 1908 (Création de l’Almanach).

La foi des prêtres et de leurs paroissiens en cette fin du XIX ème et début du XX ème siècle, même si des paroissiens ont souffert de la « rigidité de la loi », a été nécessaire pour fédérer les hommes autour d’un projet: Créer ou renforcer une identité Paroissiale, en construisant le lieu de culte: Chapelle et l’Église; puis en bâtissant des maisons autour, en défrichant la terre des fermes et en organisant le commerce indispensable pour subvenir aux besoins des habitants.

Pourtant la terre était pauvre, recouverte de landes. Bien du courage et de l’abnégation ont été nécessaires aux défricheurs venus peupler notre paroisse.

Quel développement du pays devenu paroisse ?

En 1801, dans la commune de Guenrouët, il y avait 1486 habitants. Chiffre qui progressa régulièrement atteignant 3924 habitants en 1891, pour retomber à 2614 en 1962, 2368 en 1968 et 2156 en 1975 (Source Jean- Anne Chalet).

En 1908, y compris le village de Peslan (rattaché à la paroisse de Saint Omer), la section de commune de Notre Dame de Grâce comptait 1375 habitants (Notre Dame de Grâce représente le tiers de la population de la commune, à peu de variable près). Le pic maximum de la population dans la commune semble avoir été atteint vers 1891. Celui du département l’aurait été vers 1860.

Cette chronique a cessé lors de la guerre de 1914/1918.

Notre Dame de Grâce au fil des temps

Notre Dame de Grâce : La vie de la Paroisse depuis 1092 – LEVRISAC Depuis 1092 ?

(Source : Pierre Millet – Almanach 1909 ?)

Deux érudits, amateurs éclairés de nos vieilles coutumes et traditions, ont eu l’obligeance de nous communiquer des documents dont l’authenticité n’est nullement contestable et qu’il serait fâcheux de laisser dans l’ombre parce qu’ils intéressent au plus haut point certains de nos villages : L’Evrisac, La Motte-Isac, Longle, Evedeth.

Blason familial de Cambout de Coislin

Blason familial de Cambout de Coislin

Tout le monde sait que les marquis de Coislin, grands louvetiers du roi, possédaient les landes de l’immense territoire qui s’étend de Fresnay (Plessé) à la Roche-Bernard. Dans ce vaste domaine étaient renfermées les chapelles de Notre Dame de Grâce, de Sainte Anne-de-Campbon, de La Madeleine (calvaire de Pontchâteau), deux châteaux, Coislin et Carheil. Le château de Coislin en Campbon dont le titre seigneurial était beaucoup moins important que celui de la vicomté de Carheil qui en dépendait; celui-ci, soit à cause de sa situation admirable, soit à cause de son importance, était la demeure privilégiée des derniers des Coislin. A l’époque de la construction du château actuel, en 1681, il avait absorbé, par achat ou échange, les petites propriétés ou seigneuries, comme on disait alors, des environs, qui devinrent des fermes de Carheil ou en furent détachées à la débâcle des d’Orléans, en 1854.

 

 

Lévrisac ou L’Evrisac

Concile de Clermont - Pape Urbain II lançant la première croisade

Concile de Clermont – Pape Urbain II lançant la première croisade

Nos braves habitants de l’Evrisac ne se doutent guère qu’ils remontent à une haute antiquité, ce village peut-être le berceau de la paroisse. C’est en 1092 qu’on trouve mentionné dans le dictionnaire des terres et seigneuries du comté nantais (par F. de Cornulier), la terre de l’Evrizac (Guenrociés). Cette date est remarquable -1095- Concile de Clermont, départ de la première croisade. Nous n’oserions avancer que Pierre l’Ermite, monté sur sa mule, vint jamais visiter notre humble hameau, non; mais serait-il téméraire que quelques-uns de ces paysans, entraînés par l’enthousiasme religieux, n’eussent suivi leur seigneur en Terre Sainte pour y combattre l’infidèle. C’est un point d’histoire qui ne s’éclaircira qu’au ciel, mais du moins pouvons nous risquer cette version très admissible et honorable pour le pays.

La terre de l’Evrisac appartient en 1430 à Payers de l’Evrisac; 1468, à Jean de Dreseux; donnée en 1619, par Jamet de Dreseux à Guillaume de Carheil, et en 1658 à Marie de Carheil femme de Jérôme de Cambout, membre de la vicomté de Carheil.

Quelle pourrait être aujourd’hui cette seigneurie de l’Evrisac ?

D’après la topographie du lieu, elle comprendrait les fermes de la Cour, du Pré-aux- Sourds, du Guigner et les bois appartenant à MM. Bouillet et Bureau.

 

La Motte – Isac

Au côté de l’Evrisac, séparé de lui par l’Isac, sur le tertre qui a conservé le nom de la Motte, près du canal actuel, existait un autre manoir, dont il ne reste plus trace. Ce fief les bois du Plessis, des prairies, des parcelles de terre à Quinhu échangées avec les landes de la Quiauderie et devenues la propriété de Jean Hourdel. En 1465, il était devenu la propriété de Marie de la Muce, femme de Jean Eder(1553); Bertrand Eder(1634); Amaury Eder, seigneur de Beaumanoir(1657), vendu par Marc du Perrier et Jeanne de Perrien, sa femme, au marquis du Cambout de Carheil, réuni à l’Ongle.

L’Ongle

La terre de l’Ongle, au bord du canal, contient la ferme de Civel, les bois et une partie des landes environnantes. Possédées en 1380 par demoiselle de Téhillac, femme d’Hector de la Jaille; 1431, Hector de la Jaille la vend à Pierre Eder; 1456; Pierre Eder, maître d’hôtel et chambellan du duc; 1485, Amaury Eder, seigneur de Beaumanoir; 1657, vendue enfin par Marc du Perrier et Jeanne du Perrien, sa femme à René du Cambout marquis de Coislin, membre de la vicomté de Carheil avec la Motte-Isac.

Ainsi donc, depuis 1657, Carheil était nanti de toutes les terres seigneuriales de Grâce.

Prieuré de Saint Thomas d’Evedet

Un prieuré dans le sens où il faut l’entendre ici, était, non un monastère, mais une terre ou bénéfice dépendant d’un monastère. Le prieuré d’Evedet ne fut jamais un fief sorti de Carheil, mais bien de Fresnay, seigneurie des sires de Rohan, Blain, Pontivy et Fresnay (ce prieuré avait-il été donné à l’abbaye des Bénédictines de Saint Sulpice de Rennes ?). Deux actes tirés des archives départementales d’Ille-et-Vilaine, l’un en 1589, l’autre en 1649, en font foi. Le premier est l’aveu et dénombrement des droits, dîmes, revenus et charges du prieuré de Saint Thomas d’Evedet en 1589. Le second, le constat, fait 50 ans plus tard à la requête du roi, que les choses étaient bien en l’état et les fondations exécutées; à défaut de quoi la propriété en retournerait au domaine du roi.

  • Avantages de la fondation : droits et dîmes

Par devant notaires, la Révérende Dame Gabrielle, abbesse de l’abbaye de Saint Sulpice, près Rennes, confesse et reconnaît tenir en amorti, le prieuré d’Evedet comprenant: chapelle, maison, jardin, logement de fermier, métairie, landes, bois, dîmes, rentes, franc et libre de toutes impositions roturière; joignant d’un côté les terres du sire de Beaumanoir, en haut celles de Carheil, de l’autre côté la rivière l’Isac. En outre deux parts de la dîme du village de Landréas ou Landrais, du fief de Fromageais, prises sur les terres d’Hervé Lesage. Idem, dôme d’une terre possédéé par Lucien Jagot à la Touche; idem, frairie de l’Evrisac, la Cloux Morée dans la gaignerie de Fourbillon joignant le ruisseau de Freslay, aux héritiers Hervé Maurice et Pierre Aoustin; dans la bosse de La Touche, une pièce possédée par Jean Audoin, près de la seigneurie de la Motte-Isac au seigneur de Beaumanoir.

  • Charges et obligations

L’abbesse reconnaît et confesse jouir, à devoir en retour: suffrages, prières, oraisons, une messe basse chaque vendredi dans la chapelle pour la famille des Rohan, l’entretien de la chapelle et des logements qui sont, porte l’acte : « forts vieux et caducs ». Elle se plaint que, vu l’éloignement et les temps brouillés, le seigneur de Carheil s’est emparé d’un pré, de bois et de gallois appartenant à Evedet.

Le sieur Priou, procureur (gérant) de la mère abbesse Françoise du Tremblay en 1649, fait les mêmes déclarations que ci-dessus, et affirme que le prieuré est de très ancienne fondation, mais n’est saisi d’aucuns titres en faisant mention.

D’après la tradition nous avons des raisons de croire qu’il fut donné au monastère par un chevalier partant pour la croisade, afin d’attirer sur lui la protection du ciel. Peut-être un membre de la puissante famille des Rohan. Cette famille devenue protestante et fortement attachée à l’hérésie, pouvait exercer une influence néfaste sur la contrée et ce fut à la suite des guerres de religion, 1589 avènement de Henri IV, que furent dressés les documents que nous analysons pour bien établir la situation des religieuses envers Mademoiselle de Rohan, héritière de la famille. Il faisait alors bon vivre sous la crosse et la mitre, car les fermiers demeurèrent fidèles à leur abbesse et à leur foi. En tous cas, ces actes nous renseignent utilement sur des points désormais incontestables: l’ancienneté de nos villages des rives de l’Isac, l’origine seigneuriale de nos plus belles terres et les rapports entre le fermier et le propriétaire. Il nos est donc permis d’étudier dans ce petit coin ce notre paroisse, résumés et vécus, huit siècles de notre histoire féodale au moyen-âge.

La Période Révolutionnaire (1793)

(Source : Pierre Millet – Almanach 1912)

La paroisse de Notre Dame de Grâce, jeune de 50 ans, ne peut feuilleter de longues annales. On a à peu près tout dit quand on a raconté l’histoire de sa chapelle, sa fondation, son développement et le bon esprit qui continue de l’animer. Cet esprit elle le doit à sa tradition et à la fidélité de ses pères, à leur religion dans les jours troublés de la révolution; ils furent en effet des vaillants et aucun, ni des pasteurs, ni des paroissiens ne firent défection.

Née toute entière de la paroisse de Genrouët, les évènements que nous allons raconter avec ceux de sa mère elle-même ou plutôt, lui appartiennent en propre; cependant que N. D. de Grâce revendique la page la plus glorieuse dans ce drame lugubre qui ensanglanta nos paroisses du sang de leurs pasteurs. Le chapelain de N.D. de Grâce, M. Letourmy, fut pris à son poste et fusillé par les Bleus sur son territoire.

La paroisse de Guenrouët comptait au commencement de la révolution cinq prêtres travaillant au salut des âmes: MM. Jean-Baptiste Lebeau, Thomas Lebeau, Guillaume Legrand, Pierre Létourmy et Mathurin Landron.

Trois enfants de la paroisse furent successivement curés de Guenrouët.

  • J.-B. Lebeau curé et Thomas vicaire; celui-ci neveu du premier lui succéda.
  • Guillaume Legrand était maître d’école.
  • Pierre Létourmy, chapelain de N. D. de Grâce.
  • Mathurin Landron, vicaire, puis chapelain de Bolhais.
  • M.Landron, cousin cousin germain du précédent, né au Clos, était vicaire àVay.
  • M.Courtois, né à Melneuf, vicaire à Plessé; M.Vauléon, prêtre habitué à Plessé.

Quatre jeunes étudiants se destinaient à l’état ecclésiastique: Jean Legrand fusillé comme requis, Landron, rentré dans la vie commune, Jean Cado, neveu de Guillaume Legrand, devint notaire et maire de Guenrouët, enfin Roland Trégret qui devint chef des royalistes en Morbihan.

La position avantageuse du bourg de Guenrouët à égale distance de Savenay, Blain et Redon, le fit choisir pour lieu d’un cantonnement à un détachement de troupes républicaines. Là comme partout, l’arrivée de la farouche bande fut signalée par de monstrueux excès.

L’église paroissiale dont on avait enlevé les vases sacrés et les objets de culte, fut livrée à la profanation: les forcenés renversèrent les autels, brisèrent les statues et les jetèrent dans un lieu infect. Les cloches furent enlevées , emmenées à Savenay pour être monnayées. L’église devait être brûlée, mais comme la république y laissait garnison elle fut conservée et transformée en écurie pour loger les chevaux pendant que le presbytère devenait une caserne pour les hommes.

Ces actes de vandalisme et d’impiété accomplis, les barbares soldats songèrent à les renouveler dans les autres sanctuaires de la paroisse. Guenrouët possédait trois chapelles où l’on disait la messe: celle de N.D. de Grâce, de Bolhais et du Cougou. La chapelle du Grény était une chapelle privée, N. D. de Grâce était la plus ancienne et la plus célèbre.

Les Bleus s’y rendirent; ils se disposaient à y mettre le feu, lorsque Mme Bédard, dont la maison était proche leur dit: « Mais, citoyens, si en brûlant la chapelle, vous brûlez ma maison et les autres dans le village, nous les bâtirez-vous? Qu’est-ce qui vous gêne? Vous voudriez qu’il n’y eu que les quatre murs? Eh bien je me charge « de la faire découvrir à mes frais ».

On se mit à l’oeuvre en présence des soldats de la République, la troupe une fois partie on arrêta le travail, il n’y eut que le choeur qui fut découvert et elle resta en cet état pendant tout le temps de la Terreur. Les Bleus n’y trouvèrent ni ornements, ni vases sacrés. On avait fait disparaître ces différents objets. Une des cloches avait même été descendue et soigneusement cachée.

Après la Révolution cette cloche fut transportée à l’église paroissiale de Guenrouët, refondue, augmentée, elle servit jusqu’à l’année dernière, en pleurant d’une voix éteinte son clocher en ruine, elle dut céder la place à quatre jeunes dans une élégante demeure. La chapelle de Bolhais élevée par Sébastien Legrand et dédiée à Saint-Sébastien fut brûlée; les habitants des villages environnants, avaient pris la fuite et aucun, ne voulut d’une façon quelconque participer à l’incendie du lieu saint. Il n’en fut pas ainsi de la chapelle du Cougou, qui fut épargnée grâce à l’intervention des patriotes du Gué.

Il est à remarquer que la partie du Haut-Guenrouët, c’est-à-dire des Brives et de Grâce resta fidèle à ses prêtres et à ses bons principes: les prêtres étaient en sécurité, on se faisait honneur de les cacher et d’assister à leur messe.

On ne pouvait en dire autant du Bas-Guenrouët et de la prairie du Gué qui comptaient de bons chrétiens mais aussi plusieurs patriotes. Comme en témoigne M. Orain, lui même, lequel ne croit pas avoir été dénoncé par eux.

Pourtant les révolutionnaires mirent tout en oeuvre pour détruire dans les paroisses les pieuses pratiques de la religion; les habitants de Guenrouët catholiques zélés et fervents surent résister aux séductions comme aux menaces des farouches républicains? A l’exception d’une dizaine de familles de Réthaud et aux environs de deux traîtres au Haut-Guenrouët, tous se montrèrent les enfants dévoués de l’église catholique persécutée. Gilles Legrand Chauvelet et Guichon étaient le hommes les plus dévoués aux prêtres qu’ils cachaient chez eux.

Ils avaient en horreur les intrus et étaient indignés de la conduite coupable des patriotes du Gué.

En vain les soldats cantonnés au bourg essayèrent-ils de corrompre les habitants en les forçant à travailler le dimanche et à garder le décadi (dixième et dernier jour de la décade dans le calendrier républicain, il remplaçait le dimanche); la population résista énergiquement et ne se soumit jamais aux folies républicaines. Les pieux habitants des villages assistaient régulièrement à la messe soit à Fégréac ou M. Orain continua au péril de sa vie, l’exercice de son ministère, soit à Sévérac, à Plessé ou à Campbon, le plus souvent dans la paroisse même, où la messe se disait à peu près régulièrement.

Tous les samedis des femmes courageuses donnaient le mot d’ordre et indiquaient le lieu et l’heure de la réunion.

Quelquefois c’était le jour et on avait soin de placer des sentinelles sur les points les plus élevés pour donner l’éveil en cas de danger; tantôt c’était la nuit et l’on prenait les précautions que commandait la prudence. Un dimanche c’était dans un village, le suivant c’était dans un autre.

Les villages où on la disait le plus souvent étaient ceux de La Touche, Lévrisac, Quinhu, Le Dru-en Grâce, Crandas, le Bignon et surtout au Clos dans la grange de Jean Legrand.

L’autel était vite dressé: quelques planches sur deux barriques: on apportait tout ce qui était nécessaire pour le Saint-Sacrifice et la messe terminée on remettait chaque chose à place. Des personnes sûres cachaient soigneusement les objets nécessaires au culte divin. Jamais pendant la période révolutionnaire on eut à déplorer le moindre accident fâcheux. Le dimanche on récitait le chapelet… de pieuses lectures.

Ces moeurs chrétiennes ne sont-elles la reproduction de la primitive église? Unis dans la même charité, les habitants gardaient fidèlement le secret par rapport à leurs prêtres cachés dans la paroisse; tous avaient à coeur de remplir leurs devoirs religieux, on ce confessait, on communiait, les autres sacrements étaient administrés selon les besoins, et les circonstances, on fit même la première communion des enfants une fois au Clos et une autre à la Massiais. Ainsi peut-on dire que la paroisse de Guenrouët ne fut aucunement privée des secours de la religion pendant la persécution.

Après la triste et funeste défaite de l’armée vendéenne à Savenay une partie des débris de l’armée vaincue vint se réfugier dans la paroisse de Guenrouët. Ils y furent accueillis, comme des frères malheureux, nourris, cachés charitablement. Quant ils ne voulaient pas séjourner dans la paroisse, on les dirigeait vers Pont-Nozay et la Morissais et on les passait en bateau dans la paroisse de Fégréac et de Plessé.

Nous le répétons donc, si les fidèles de Guenrouët ont tenu une conduite si admirable et si chrétienne, on peut l’attribuer aux prêtres saints et vertueux qui travaillaient au salut des âmes depuis bien des années avant même que la révolution n’éclatât, il faut l’attribuer aussi au zèle et au dévouement de ces confesseurs de la foi qui restèrent au milieu d’eux pendant la tourmente pour les guider et les encourager dans la pratique du bien, leur prouva que le clergé n’est pas un mercenaire ou un fonctionnaire qui plie à tous les caprices, mais un pasteur fidèle qui au besoin donnera sa vie pour ses brebis.

Nous verrons dans un autre article comment le chapelain de N. D. de Grâce versa courageusement son sang pour son cher troupeau.

Puisse se sang du martyr le garder indéfectible dans la tourmente actuelle.

Pierre l’Etourmy

(Source : Pierre Millet – Almanach 1913)

Si beaucoup de prêtres pendant la tourmente révolutionnaire furent contraints de quitter leurs paroisses et de s’exiler pour échapper à la mort, la section de N.D. De Grâce eut le bonheur de conserver son chapelain. Digne émule et ami de M. Orain, M. L’Etourmy se cacha longtemps dan les bois et dans les granges. Trahi enfin, il versa courageusement son sang pour ses chers paroissiens et sa religion.

Pierre L’Etourmy, fils de François et de Julienne Caris, naquit à Quinhu le 14 décembre 1735. Il fut ordonné prêtre en 1765 et vint se fixer à Guenrouët. A cette époque, où le clergé était plus nombreux qu’aujourd’hui, il n’était pas extraordinaire de voir les prêtres résider dans leur paroisse natale, et d’y exercer les fonctions de vicaire ou d’instituteur. Sans doute M. L’Etourmy était prêtre auxiliaire à Guenrouët. En 1769 il fut nommé vicaire au Grand-Fougeray, paroisse importante faisant encore partie de Nantes. Elle fut donnée au diocèse de Rennes par le Concordat. En 1771 il redevint vicaire de Guenrouët et chapelain de Grâce. Il y résidait depuis une vingtaine d’années, quand éclata la Révolution.

L’émeute avait ramené le roi Louis XVI de Versailles à Paris; l’assemblée constituante l’y suivit. Une fois installé, elle s’occupe de donner une constitution nouvelle à la France. Cette constitution fut promulguée le 14 septembre1791. Elle renfermait des réformes politiques et administratives: parmi ces réformes, plusieurs étaient utiles et constituaient un progrès, d’autres étaient mauvaises et injustes: de ce nombre celles qui anéantissaient l’autorité du roi, et celles qui prononcent la confiscation des biens et la constitution civile du clergé. D’après cette constitution les évêques et les curés devaient être nommés par le peuple, les couvent supprimés, les voeux monastiques rompus et les rapports de soumission au Pape et aux évêques annulés. Tout éclésiastique, sous peine d’être privé de ses fonctions et plus tard mis à mort, devait faire le serment d’adhésion à cette constitution. – Reconnaissez dans les associations culturelles du ministre actuel de la séparation, M. Briand, le reproduction de la Constitution civile. Nos ennemis n’inventent donc rien de nouveau pour la persécution.

Le clergé, tant qu’on ne s ‘était contenté d’attendre ses intérêts matériels, s’était résigné: maintenant qu’on renversait l’ordre de la juridiction spirituelle, il ne pourrait se taire. Tous les prêtres honnêtes refusèrent de prêter un serment opposé aux devoirs de la conscience. Les chemins de l’exil furent dès lors sillonnés de ces pauvres prêtres chassés de la patrie comme d’odieux malfaiteurs. Quelques-un demeurés à leur poste étaient dénoncés, traqués comme des bêtes fauves. M. L’Etourmy fut de nombre. Il se tenait caché dans les environs de Grâce où le pays, connu et très boisé, lui offrait un facile refuge. Estimé d’ailleurs, aucun de ses compatriotes n’eût voulut commettre le lâche forfait de le dénoncer. Voici ce que raconte à ce sujet M.Orain , qui lui survécu et en tenait le récit des témoins eux-mêmes. Nous ne pouvons mieux faire que de le reproduire à la lettre.

Il se retirait souvent dans un bois sur la rivière d’Isac (aujourd’hui le canal) dans un endroit où elle était profonde mais très peu large, il avait une planche de longueur convenable par le moyen de laquelle, quand il était poursuivi d’un côté, il passait de l’autre. Un jour pendant qu’il était à prendre un léger repos dans sa chaumière il survint tout à coup un Bleu qui y entra, et qui, ne le connaissant pas lui demanda: « Que fais -tu là? Ne vois-tu pas que je suis à manger un morceau? Est-ce qu’il n’est pas temps avoir bien travaillé? – Tu es un brigand – Moi, un brigand, tu ne t’y connais pas mal: va plutôt demander à ceux du village voisin si je ne suis pas d’ici. – Qu’est-ce que tu as à boire dans cette bouteille? – C’est du vin, vraiment en veux-tu boire un coup? – Volontiers. – Tiens , mais ne bois pas pourtant pas tout, car je serai bien aise d’en avoir un peu quand j’aurai fini mon ouvrage. » Le bleu en but et s’en alla.

M.L’Etourmy pensant que le bleu n’était probablement pas seul, et qu’il pourrait en faire venir d’autres, ramassa ses petits effets et, par le moyen de la planche passa la rivière et la retira de l’autre côté, il alla se cacher dans le bois. Quelques instants après, il aperçu des bleus qui vinrent avec le premier, qui cherchèrent et fouillèrent partout. Ils essayèrent de passer la rivière, mais ils la trouvèrent trop profonde pour oser s’exposer à le faire.

Après des peines et des dangers il venait de faire faire la première communion à un bon nombre d’enfants de la paroisse et des environs, ce fut sa dernière bonne oeuvre.

Dénoncé aux bleus par un hors venu, habitant Quinhu, natif de Conquereuil, et dont les mémoires ont gardé le nom pour le flétrir: Pihuit ! M. L’Etourmy fut saisi dans un grenier de la Touche, le jour même qu’il avait fait faire cette première communion.

Fatigué des travaux auxquels il s’était livré, il se retira dans une maison pour se jeter sur un lit afin d’y prendre un peu de repos, des femmes accoururent avec empressement lui dire: « Monsieur sauvez-vous voici les bleus qui viennent ici pour vous prendre. » Il ne voulut pas le croire: « Ces femmes là, dit-il, sont toujours épouvantées, tout ce quelles voient leur paraît des bleus, je suis sûr que c’est une fausse alerte comme les autres ». Un instant après d’autre personnes arrivèrent et dirent: « Non Monsieur ce n’est point une fausse alerte, les voilà qui viennent tout droit ici et vous n’aurez même pas le temps de vous enfuir ». Il se lève promptement et essaie de s’échapper dans les bois, mais il n’en est plus temps; les bleus l’aperçoivent et le saisissent. « Est-tu un prêtre, lui dirent-ils ! – Oui sans doute je le suis – As-tu fait le serment? – Non sûrement, et je ne le ferai jamais – Si tu veux le faire tu auras ta grâce – Croie-tu que pour te plaire je voudrais trahir mon Dieu et mon devoir? – Si tu ne veux pas le faire tu seras fusillé – Je sais bien que je n’ai pas d’autre chose que cela à attendre de vous autres ». Il fut amené par les bleus, les mains liées derrière le dos à Grâce et enfermé dans la chapelle pendant la nuit. Le lendemain les soldats républicains insensibles aux supplications des paroissiens l’emmenèrent au bois de l’Ongle et le fusillèrent. Il tomba frappé de trois balles , l’une au front, l’autre au-dessous de la gorge , l’autre au bas de la poitrine. Les barbares soldats laissèrent sur le terrain le corps ensanglanté, mais de pieuses femmes, la femme Rousseau de l’Ongle et Marguerite Bugel de Juzan, l’ensevelirent, et la nuit suivante il fut transporté sans bruit dans une charrette au cimetière de Guenrouët. Bon nombre de personnes assistèrent à son enterrement arrosant de leurs larmes la dépouille mortelle de ce vaillant confesseur de la foi. Un beau soleil de Mai avait éclairé cette scène lugubre; c’était en effet le 17 Floréal de l’an IV de la République, correspondant à notre mois de mai 1795, que fut tué M. L’Etourmy.

Le régime de la terreur, souillé d’un déluge de crimes touchait à sa fin? Robespierre lui-même allait porter à l’échafaud sa tête ruisselante de sang: trop juste châtiment de la justice immanente de Dieu. Un autre coupable payait également par une triste mort le prix de sa trahison. Détesté de tous, redouté et délaissé, Pihuit, dit-on se noya dans l’Isac avec son chien , ou fut noyé par les voisins indignés.

Une tradition bien respectable indique l’endroit précis ou fut fusillé le saint prêtre.

Au milieu du bois de l’Ongle, en face le majestueux château de Carheil, dans le vaste cirque qu’il décrit autour d’une grande prairie, se trouve une source couverte d’épais ombrages, et une ancienne carrière remplie d’eau. Vu de Melneuf, le site est superbe et semble créé pour de plus beaux souvenirs. Là , sous les feuilles des chênes et des saules on entend un léger bruit, c’est le gémissement perpétuel et plaintif du ruisseau dont les eaux furent teintes du sang d’un martyr. C’est-là en effet qu’il consomma son sacrifice.

Rien de plus saisissant pur le pèlerin, qui comme nous aime visiter ce lieu sauvage et béni. Il y puise un réconfort de foi et de vie chrétienne. Frisson d’horreur, et de colère contre l’impiété, folle et cruelle de la Révolution, fierté d’être descendants d’un peuple fidèle, courage enfin et ferme volonté de garder ses croyances au prix même du sacrifice. Tels sont les sentiments qui envahissent l’âme . Le sang des martyrs est véritablement une semence de bons chrétiens.

Habitants de Grâce, gardez ce précieux souvenir.

Un lieu de culte, la chapelle de Notre Dame de Grâce

(Source : Pierre Millet – Almanach 1908 ?)

Dans la partie sud-ouest de la commune de Guenrouët, sur la rive gauche de l’Isac à deux pas de celle-ci, pour ainsi dire, à l’ombre du château princier et des hautes futaies de Carheil, s’élève une modeste église paroissiale : Notre Dame de Grâce. Il y a seulement soixante ans (22 juillet 1844) qu’elle a été décorée de ce titre; jusque là ce n’était qu’une modeste chapelle rurale dépendant de Guenrouët. Mais elle n’en est pas moins célèbre dans les fastes de la contrée, peut-être remonte-t-elle aussi loin que la paroisse mère qui, pourtant, n’est pas jeune.

Les seigneurs voisins, des Carheil d’abord, ensuite des Coislin, revendiquaient les titres de seigneurs fondateurs et prééminenciers dans la chapelle de Grâce, ainsi que dans l’église de Guenrouët; ils y conservaient jalousement leurs droits de banc et de tombeau; leurs armoiries, peintes sur la litre des murailles aussi bien que sur les vitraux, témoignaient orgueilleusement de ces droits. Et comme l’intérêt dans la vie, les Cambout de Coislin, qui n’étaient pas sans voir, des fenêtres de leur maison, l’affluence des pèlerins à certains jours, en conclurent qu’il serait bon d’établir des foires à leur profit sur le « pâtis » de la chapelle.

Ils en sollicitèrent la création, et voilà comment le 1er mars 1578, le Parlement de Bretagne apposait son visa sur une ordonnance royale accordant à Monsieur De Cambout vicomte de Carheil, trois jours de foire par chacun an « au bourg de Grasse »: à savoir le mardi de la Pentecôte, le jour de la St Jean-Baptiste, et à la fête patronale du lieu: « Notre Dame de Septembre ».

Les seigneurs de Carheil montraient leur sollicitude pour Notre Dame de Grâce en cherchant à en tirer honneur et profit. D’autres seigneurs, bien autrement puissants, manifestèrent la leur d’une manière plus désintéressée, en comblant la modeste chapelle de leurs bienfaits. C’étaient les ducs de Bretagne ou au moins deux princes de la maison de Montfort, si pieusement généreuse qui couvrit de monuments splendides, consacrés à Dieu et à la Vierge toute la terre de Bretagne, et particulièrement le sol nantais.

Mais pourquoi nos ducs pensaient-ils à cette humble chapelle de Notre Dame de Grâce? Hasardons d’abord des conjectures:

Alain le Grand, roi de Bretagne, après avoir battu glorieusement les pillards normands, vers la fin du IXe siècle, s’était retiré dans son château de Plessé. Bleb Sei, comme l’écrit l’auteur de la chronique nantaise; Plou Sé, d’après la traduction de grand historien breton: A. de la Borderie. C’était, non pas au chef-lieu actuel de cette paroisse, mais à cinq kilomètres de là, sur un rocher abrupt qui domine l’Isac et que marque toujours l’antique chapelle de Saint Clair, probablement contemporaine du grand batailleur; si elle n’est pas plus ancienne encore. Alain y tenait cour nombreuse, seigneurs et hommes de guerre s’y pressaient autour de lui.

La chronique de Nantes nous apprend que l’évêque de cette ville, Foulcher, y vint lui rendre visite et lui demander des faveurs pour son église désolée.

Sur la rive opposée de l’Isac, s’étalant au flanc d’un coteau encore plus élevé que celui de Saint Clair, on voyait la petite bourgade de Guenrouët. Alain la fit ériger en paroisse et la dota de sa première église. Est-ce à la même époque qu’on éleva la Chapelle de Grâce, dont l’origine se perd dans la nuit des temps ?

L’apparition de la Vierge en ce lieu dont parle la légende, fut-elle connue du Châtelain de Plessé? Est-ce pour cela que les sires de Carheil, seigneurs de ce pays, après Alain le Grand, possédèrent comme lui des droits de fondation dans les deux églises?

Est-ce pour cela enfin, que les ducs du XVème siècle, conservèrent une grande dévotion envers la sainte de ces lieux?

Ce sont là des questions auxquelles je ne saurai répondre; et pourtant je me sens incliné à chercher dans ce lointain passé l’origine de la dévotion de nos ducs à Notre Dame de Grâce?

Un historien nantais que tous les autres ont copiés affirme, sans donner de preuves, qu’Arthur III aimait, et avait considérablement enrichi la chapelle de Grâce. En effet, pendant que ce prince n’était encore que le comte de Richemond, connétable de France, et qu’il bataillait aux cotés de Jeanne d’Arc pour délivrer notre pays du joug de l’anglais, son frère le duc Jean V, lui avait abandonné la jouissance de la seigneurie du Gâvre. Arthur aimait cette terre où, mieux que partout ailleurs, il pouvait se livrer aux plaisirs de la chasse, cette vivante image de la guerre qu’il aimait tant. Ce fut même lui qui rebâtit le château, jadis détruit par Olivier de Clisson.

« Je veux à dieu, disait-il je ferai une belle place et maison ». Et pendant de longues années, il consacra à cette entreprise les 25000 livres -somme énorme pour l’époque- que lui donnait le roi de France pour sa charge de connétable. Notre Dame de Grâce n’était qu’à une courte distance du château, et l’on comprend que le prince, qui était un Montfort, pieux par conséquent, malgré sa rudesse de soldat, ait fait ce pèlerinage et y ait laissé des marques de sa magnificence.

Nous pouvons donc, sans preuve, croire les historiens. Mais ce qu’aucun d’entre eux n’a dit et ce qui est pourtant certain, c’est que Jean V, son frère et son troisième prédécesseur sur le trône de Bretagne, fit un voeu et un pèlerinage à Notre Dame de Grâce en des circonstances solennelles.

On connaît la guerre de succession de Bretagne et la lutte entre les deux maisons rivales de Penthièvre et de Montfort. Celle-ci finit par l’emporter, et Jean IV, un Montfort, fut reconnu de tous comme Duc de Bretagne. Son fils Jean V lui succéda sur le trône ducal. Il régnait depuis vingt ans quand la haine sournoise et félonne des Penthièvre faillit renouveler le fléau de la guerre civile. Jean V invité par eux à les visiter dans leur terre de Châteauceaux (Champtoceaux ?) fut traîtreusement arrêté, chargé de chaînes, accablé d’injures, menacé d’une mort horrible, traîné de château en château, de forteresse en forteresse, pendant plusieurs mois et finalement jeté dans un cachot de Châteauceaux même. Toute la Bretagne se leva et vint tirer le duc de sa prison.

Mais Jean V s’il comptait sur ses féaux et ses preux chevaliers, comptait sur ses protecteurs du Paradis. Il avait multiplié les voeux: il en avait fait à N.D. Des Carmes, dont nous reparlerons; il en avait fait un à N.D. du Folgoët et à St Yves; il en avait fait aussi un à N. D. de Grâce. J’en trouve la preuve dans un mandat de paiement par lequel il ordonne à son trésorier de rembourser quarante écus d’or empruntés pour acquitter les voeux faits dans sa prison: à St Julien de Vouvantes, à Redon, à N.D. de Grâce, à prières et es chapelles de N. D. de Bodon et du Méné!!

Jean V, à peine délivré avait voulu accomplir ses voeux. Il commence par N.D. Des Carmes; ensuite il envoya des représentants aux sanctuaires trop éloignés qu’il ne pouvait visiter immédiatement: tels que le Folgoët et St Yves de Tréguier. Mais il n’en était pas ainsi des église que j’ai nommées tout à l’heure.

Les états de Bretagne étaient convoqués à Vannes pour juger les Penthièvre. Jean V résolut d’acquitter ses voeux avant de s’y rendre, ou plutôt en s’y rendant. Délivré le 6 juillet 1420, il était dans le courant du même mois, à Chateaubriant, d’où il se rendit à St Julien; de là à l’abbaye des prières; puis enfin à Vannes, où se trouvaient les chapelles de Bondon et du Méné. Le duc n’avait oublié que de remplir sa bourse; peut-être ne l’avait-il pas pu, car son trésor était à sec: il avait tout donné à N.D. des Carmes.

Depuis, l’humble chapelle a-t-elle reçue d’aussi nobles visiteurs? Peut-être car la belle-fille de Jean V , Françoise d’Amboise, passa six mois dans son château du Gâvre, où elle perdit sa mère, et il ne serait pas surprenant qu’elle eut fait un pèlerinage au sanctuaire tant aimé de son beau-père et de son oncle. De plus un historien prétend qu’une Marguerite de Bretagne, qui ne peut-être que la soeur de Jean V et d’Arthur III, femme d’Alain de Rohan laissa en 1428, trente sous de rente à N.D. De Grâce pour la célébration d’une messe annuelle; et si le fait est exact, nous pouvons en conclure que la pieuse princesse aima comme ses frères, notre petite chapelle et la visita souvent. Sans doute, en des temps plus rapprochés de nous les grands seigneurs du voisinage: les Coislin de Carheil, les Rohan de Blain, la visitèrent à leur tour, mais les Coislin et les Rohan eux mêmes étaient des petits compagnons auprès des ducs de Bretagne.

L’histoire ne dit presque plus rien de notre sanctuaire. Nous savons cependant que la piété du peuple y entretenait un chapelain et que les fidèles des alentours s’y rendaient assidûment le dimanche et les jours de fête. La preuve c’est que le 14 juin 1656 une sentence de l’officialité faisait défendre aux prêtres de Grâce de célébrer la messe dans la chapelle aux heures des offices paroissiaux.

La défense n’a plus de raison d’être. N.D. de Grâce est désormais paroisse. On n’y célèbre plus, il est vrai, comme fête patronale N.D. de Septembre; mais la piété et la confiance en Marie n’ont pas faibli; le peuple répète toujours qu’une apparition de la Sainte Vierge a fait ériger le sanctuaire, la foule a toujours demandé des guérisons à l’eau miraculeuse de la fontaine de Riaveau; et de toutes les paroisses du voisinage: de Guenrouët, de Plessé, de Campbon, de Quilly, de Montoir même on s’y rend en pèlerinage.

Que nous ayons le droit d’appeler Marie : Notre Dame de Grâce , il semble superflu de le démontrer.

La Création de la Paroisse (1845)

(Source : Pierre Millet – Source: Almanach 1910)

Par une belle matinée de Juin 1844, trois notables de la section de Notre Dame de Grâce, bien endimanchés suivaient à travers les landes le grand chemin de Grâce à Sainte Anne-de-Campbon. Ils parlaient peu et à mi-voix, leur air grave et discret laissait soupçonner une importante mission. Ils étaient en effet députés par les villages voisins pour demander à Mgr l’Evêque, en tournée pastorale dans la région, l’érection de la chapelle de N. D. de Grâce en église paroissiale, avec un titre de curé.

Les Origines du Culte Public

Parler à un évêque est un grand honneur, mais un problème difficile. Chemin faisant l’on discute de la manière de l’aborder et de lui présenter la requête. Il fut décidé que chacun attendit à une porte de l’église la sortie du cortège; l’église avait trois portes et celui qui le premier verrait Monseigneur lui demanderait audience, en faisant la demande. Est-ce émotion ? Est-ce respect pour la dignité épiscopale ? Est-ce difficulté de franchir la haie d’enfants qui tendaient leurs fronts vers les mains bénissantes de l’évêque ? Le privilégié qui se tenait à la grande porte n’osa parler, les paroles expirèrent sur ses lèvres : il avait oublié la leçon pourtant bien étudiée en cours de route. Enfin le bon évêque, Monseigneur de Hercé, eut connaissance de la chose, il fit venir et accueillit avec bienveillance les délégués, accéda à leur désir les engagea à se mettre à l’œuvre pour faire le nécessaire et un an après la paroisse était constituée.

Notre Dame de Grâce fut érigée en paroisse par une ordonnance de Louis-Philippe du 22 juillet 1844, notifiée par Monseigneur de Hercé, évêque de Nantes, le 6janvier 1845. La séparation d’avec la paroisse mère fut consommée le 12 janvier 1845, jour de l’épiphanie.

Donc la chapelle existait, assez vaste pour une chapelle, centre très fréquenté de dévotion, avec ses statues de N. D. de Grâce, Ste Anne et de Ste Apolline.

Elle était située un peu en avant de l’église actuelle et presque perpendiculairement à celle -ci, tournée vers l’ouest, c’est-à-dire le chœur vis-à-vis de la maison Saillant et séparée de la demeure du chapelain par un petit chemin qui est aujourd’hui la route de St Gildas.

Il fallu une cure; les principaux des terres voisines étaient, outre Ernest de Coislin qui vendra plus tard à Mr Le Cour, Julien Seignard, Alex. Biget, Jean Mével et Julien Rousseau, du Bas-Juzan. Ces familles avec Alexandre Lévêque de la Douettée, cédaient gratuitement à la commune dans l’Enclose et le Clos Pilard, où l’on commençait à édifier la cure, des parcelles de terre destinée les unes au cimetière et les autre aux dépendances du presbytère, à la condition expresse que ces terres auraient la destination qui leur était donnée par devant acte devant Me. CADO notaire. Ce mode de donner paraissait le plus naturel alors qu’il n’y avait pas de fabrique constituée et que les représentants de la commune étaient, comme ils le sont aujourd’hui, animés des meilleurs sentiments.

On sait comment l’état, gardien suprême de la justice de la religion et des contrats, respecte la volonté des donateurs en forçant à louer à beaux deniers aux successeurs, ce que la commune a reçu gratuitement et a titre de logement gratuit pour le curé !

Heureux s’il ne lui plaît pas un jour de chasser ce curé qu’il s’est engagé à loger ! Nous espérons que les héritiers de ces familles chrétiennes ne manqueraient pas de réclamer énergiquement le maintien du contrat et le respect des intentions de leurs aïeux.

Bien précaire était la situation du nouveau curé ! Pour église une chapelle, insuffisante, délabrée, puisque l’eau filtrait sur l’autel à travers les lambris pendant le saint sacrifice de la Messe. Pas de sacristie, le prêtre s’habillait derrière l’autel, pas de cloche (l’ancienne, envoyée à Savenay pour être fondue pendant la révolution est maintenant à Guenrouët), une cure inachevée et sans distribution intérieure !

M. Cheminant, premier Curé, fut donc installé le 12 janvier 1845.

Il commença par constituer un Conseil de Fabrique (Conseil Paroissial?). Le 16 janvier étaient nommés conseillers par ordonnance de Mgr l’Evêque: Julien Seignard, du bourg; Julien Chatelier de la Ganelaie et Jacques Etourmy, de la Touche; et par décision du Préfet: Jean Hourdel de Quitin (? Quinhu) et Jean Ramet du Busson. Jacques Eourmy pour suivre ou plutôt mener l’opposition de son village déjà attaché à Saint-Omer et qui refusait de faire partie de la nouvelle circonscription de Grâce déclina l’honneur et fut remplacé quelques semaines après par Jean Levesque, de la Douettée. Ces braves gens encouragés par la générosité de tous les paroissiens heureux de pouvoir exercer leurs devoirs religieux, prêtèrent le plus dévoué concours au curé, pour l’administration du temporel de la nouvelle paroisse.

Tout était à créer. On commença par placer des bancs et des chaises dans l’église; on établit des recettes régulières, on vote les fonds disponibles pour l’achèvement des travaux de la cure, suspendus faute de pouvoir payer les ouvriers.

C’est ainsi que les années suivantes on construisit successivement la boulangerie, le puits, le lavoir, les murs du cimetière. Dès 1847, on s’occupe sérieusement du projet de réparation et d’agrandissement de la chapelle, mais jugeant que les frais équivaudraient à la moitié de la reconstruction totale, vu la nécessité de créer des routes qui traverseraient le nouveau bourg et lui donneraient un alignement désirable, vu les difficultés qui pourraient s’élever sur le droit des terrains entourant la chapelle, toute discussion du projet fut renvoyée.

Plusieurs fois cependant cette question sera remise sur le tas dans les dix ans qu’il faudra attendre pour commencer les travaux d’une nouvelle église et nous verrons au prix de quelles difficultés.

On vote d’abord soixante francs pour les réparations les plus urgentes. Les années suivantes pour pourvoir quelque peu à la dignité du culte et parer à l’insuffisance de l’église, on jugea à propos de construire une sacristie et d’ajouter un bas-côté à la partie nord de l’édifice. M. l’abbé Rousseau, enfant de la paroisse, prit à sa charge cette dépense. En novembre 1852, fut bénite la cloche fondue par M. Voruz, « Anne-Marie », qui eut parrain et marraine: Alexandre Lévesque et Anne Leroux, veuve Ramet. Cette cloche, la plus petite, fait encore aujourd’hui bonne figure auprès de ses trois soeurs plus jeunes de vingt cinq ans.

Un curé ne peut à lui seul exercer toutes les fonctions de sa charge, il a besoin d’aides, en particulier de chantres, de sacristain. Tout le monde sait qu’il faut des aptitudes, du talent, du tact pour l’exercice de ces fonctions aussi honorables que délicates. Un jeune homme de la paroisse, Julien Thébaud, venait de se fixer à Fay en qualité de cordonnier. Désirant l’avoir pour sacristain, le curé de Grâce, sous prétexte de visiter son confrère, s’enquit de son paroissien, lui fit chanter un cantique, d’aucuns disent une chanson. Il fut jugé capable et devint chantre et sacristain.

Le choix était heureux. La renommée du chantre de Grâce dépassa les limites de la paroisse et plus d’un, dit-on, en aurait désiré de la graine, que nous conservons sans dégénérescence depuis cinquante ans.

Les soins du matériel n’absorbaient pas toutes les sollicitudes du pasteur. Au mois d’octobre 1845, une ordonnance épiscopale érigeait dans la paroisse le Mois d’Adoration et autorisait l’exposition et la bénédiction de la Vraie Croix. L’année suivante, le jour de la fête patronale, le 21 novembre, une autre ordonnance instituait la Confrérie du Rosaire. En janvier 1847, étaient concédée l’indulgence des quarante- Heures; Ces deux dévotions du Saint-Sacrement et du Rosaire, nées avec la paroisse, y sont restées chères et profondément enracinées comme tout ce qui touche à notre berceau. N’est-ce pas à la piété filiale de notre premier curé que nous devons le culte des « Enfants Nantais » ? Aucune tradition ne nous en indique l’origine et leurs deux statues ornent notre autel principal depuis son érection; On les regarde avec St Jean-Baptiste (et non St-Jean l’Evangéliste), qui lui fut substitué, comme patrons secondaires de la paroisse.

Des difficultés diverses et particulièrement le défaut de ressources, le décidèrent à demander un autre poste. En 1848, il fut transféré à la cure de Trescalay (Trescalan), où il fonda une nouvelle paroisse. Deux lettres conservées dans les registres de cette dernière paroisse laissent deviner ses ennuis et l’attachement profond qu’il avait pour Grâce. Il aurait voulu en particulier sur les communs qui encadraient la route de la partie de la Houssaie, un boulevard qui aurait donné grand air au bourg naissant. Il mourut retiré à Nantes. Héry, qui lui succéda, devait la diriger pendant trente cinq ans en fut le véritable fondateur. Son esprit moins brillant que pratique s’adaptait admirablement à l’esprit de la population ? Homme de foi, bon, détaché de toute pensée d’intérêt, il ne poursuivit qu’un but; fonder une paroisse chrétienne et la doter des choses nécessaires au culte.

Il est intéressant de voir par les reçus existant encore, comment à force d’industrie et d’économie, vu la médiocrité du budget qui n’atteignait pas mille francs, on arriva à payer par acomptes, les vases sacrés, la bannière, le dais, le Chemin de Croix, les ornements, etc. Les paroissiens en général peu fortunés furent admirables de générosité. Ils prirent à leur charge l’entretien du vicaire et du sacristain; à l’occasion des mariages plusieurs se faisaient le devoir d’offrir un cadeau à l’église. Détail piquant: jusqu’en 1849, les marguilliers entrants en charge donnaient à la cure un repas splendide auquel prenait les membres du conseil et les marguilliers sortants.

Au premier de l’An 1847, le curé établi la coutume de donner lui-même le repas, à condition que les marguilliers firent à l’église un cadeau qui en vaudrait la peine. C’est ainsi que Joseph Gendron, Jacques Etourmy, réconcilié avec Grâce, et Julien Levesque, en 1852, donnèrent les fonds baptismaux. Dans le cours des années le repas a été maintenu, mais… le cadeau est resté en route. Les vieilles coutumes sont pourtant bonnes à garder.

On sut intéresser à la nouvelle et pauvre paroisse des bienfaiteurs étrangers. On cite notamment: M. et Mme Fondain, de Blain; M. Gicquiaud de Nantes; Melle Ménager de Plessé. Mme Leroux, de Pornic; Anne Agasse , de Quinhu et bien d’autres dont N.D. de Grâce a béni la charité et dont les noms sont inscrits au livre d’or des éternelles récompenses. Nous verrons si Dieu le permet, comment le zèle et la charité des paroissiens, firent des oeuvres plus belles encore sans ressources préalables dans la construction et l’ameublement complet de l’église que M. Héry allait bientôt entreprendre.

Le curé de Guenrouët d’alors, l’abbé Rousseau, à qui l’on arrachait ainsi une large part de son troupeau, en poussa des gémissements amers qu’il consigna dans son registre paroissial. Mais le bien des âmes réclamait cette séparation.

Il réussit toutefois à conserver les villages du Bignon et de la Burdais qui, parait-il, devaient être rattachés à Grâce.

Notre Dame de Grâce depuis sa Fondation en 1845

(Source : Pierre Millet – Almanach 1909)

Le vieillard qui reviendrait à Grâce après cinquante ans d’absence ne reconnaîtrait plus sans doute le pays de sa naissance: il n’y retrouverait ni sa chapelle, ni sa lande, ni les toits de chaume où logeaient les troupeaux de moutons.

L’antique chapelle du IXème siècle a cédé sa place à une église plus vaste et plus appropriée a sa destination; un grand calvaire domine et couronne le plateau, étendant ses deux bras pour bénir les nouvelles demeures qu’il protège; la voix sonore de quatre cloches et d’un beffroi convie chaque jour à la prière; c’est le triomphe de Dieu sur la nature inculte.

Mais ne devançons pas les temps et laissons à plus tard l’histoire de l’église actuelle, pour nous entretenir aujourd’hui de la transformation matérielle depuis que Grâce est un centre religieux (une paroisse).

Certes, elle était bien étroite et bien pauvre la chapelle de N.D. De Grâce: les statues qui restent témoignent de sa simplicité. Comme la plupart de celles qui couronnent encore les landes bretonnes, elle était négligée depuis qu’on l’avait privée de son chapelain et de ses bienfaiteurs, les seigneurs de Coislin.

En 1845, sur le vœu de la population, en vertu d’un décret royal et d’une ordonnance épiscopale, elle fut érigée en église paroissiale, et recevait pour premier curé, le 12 janvier 1845, jour de la solennité de l’Epiphanie, Monsieur Donatien Cheminant, de St Donatien de Nantes. Dieu allait définitivement avoir un trône au centre d’une circonscription nouvelle, et loger dans l’humble chapelle, en attendant une demeure plus spacieuse et plus convenable.

A une époque ou le gouvernement de Louis-Philippe, pour faire oublier sans doute une opposition sournoise à l’Eglise, semblait accorder plus de liberté, il était urgent de profiter des circonstances pour créer une succursale dans cette immense paroisse de Guenrouët, qui comptait, du seul côté de Grâce, plus de deux lieues (une lieue = 4 km), à travers des landes, par des chemins impraticables et coupés par une rivière.

Saint Omer venait d’être créé et n’avait pas de vicaire, Quilly, plus rapproché, n’en avait pas non plus; aussi est-ce avec une fierté bien légitime, mêlée d’amertume toutefois, que les anciens et surtout les anciennes nous racontent qu’ils n’hésitaient pas, dans la nuit, en hiver, à faire plusieurs lieues pour entendre la messe, tantôt à Bouvron, Plessé ou Guenrouët, souvent arrivés les premiers, avec des chaussures pleines d’eau ou de neige. Oh ! Les braves chrétiens !

L’une de ces dernières, à 80 ans se rappelle avoir été première au catéchisme à Guenrouët, quoique n’ayant jamais été à l’école, et personne ne réussit à la déposséder de cette place honorable!

Oh ! Temps héroïques de la foi, seriez-vous finis ?

Le prince de Joinville, troisième fils de Louis-Philippe a acheté en 1838 le château de Carheil qu’il embellissait pour en faire sa demeure habituelle; sa protection serait donc assurée pour la nouvelle paroisse. Celle-ci devait comprendre tous les villages actuels, plus les fermes construites depuis. Le centre du village de Grâce.

Pour asseoir le nouveau bourg, aucun emplacement n’offrait plus splendide panorama: à une faible distance Genrouët et Saint-Clair; un peu plus la flèche élancée de Plessé; puis la forêt du Gâvre, en avant de laquelle s’étendent les plaines verdoyantes qui jadis n’étaient que landes arides; ensuite Bouvron, Quilly, Campbon, Sainte Anne et la plaine arrosée par le Brivet; dans le lointain, Pont-Château, Saint Gildas avec sa grosse tour et le joli bosquet qui couvre le couvent des religieuses.

En face de Grâce dont il est séparé par la vallée de l’Isac, et semblant le saluer à son réveil, s’élève le château princier de Carheil, une célébrité de la région, avec sa chapelle, ses terrasses, ses jardins, ses prés et ses bois.

Construit par le cardinal de Coislin, évêque de Metz, sous Louis XIV, il fut pendant deux siècles la propriété des marquis de Coislin. Vendu en 1838 au prince de Joinville, il fut acquis en 1852 par le baron de la Motte.

A ses pieds, et avons-nous dit, le séparant de Grâce, coule l’Isac, ombragé d’une frondaison superbe, avec ses replis sinueux, ses pentes tantôt abruptes, tantôt adoucies.

De l’autre côté, de vastes landes s’étendent de Carheil à Quéihillac et à Coislin, à peine coupées ça et là de fermes semées comme un oasis plus ou moins riches, tant la culture des landes était délaissée et tant on dédaignait à cette époque de bâtir isolé, loin des villages et des bourgs.

Le village de Grâce se composait de deux fermes, une auberge, quelques maisons de chaume qu’on voit encore comme de vieux tableaux défraîchis dans un cadre nouveau. Si le père Biget, en qui se personnifiait l’ancien Grâce, soulevait la poussière de sa tombe, il retrouverait encore le four banal comme un point noir au milieu du bourg; mais il se lamenterait sur sa chaumière disparue et remplacée par d’importantes constructions.

Le plateau où régnait la lande se couvre aujourd’hui de maisons de commerce de grains, d’animaux, de machines agricoles, voire même de dépôt de superbes étalons; magasins de nouveautés, épiceries, merceries, et tailleurs à la mode. La lande s’est changée en plaine où jaunissent les moissons, où verdissent les fourrages, où fleurissent les pommiers, et les vallées sont devenues de fertiles prairies.

A la ruine de l’illustre et importante famille de Coislin, M. Brosseau de Blain, M. Le Cour armateur et Babin-Chevaye constructeur de navires à Nantes, achetaient , vers 1855, d’immenses terres, alors sans valeur, et qui sont aujourd’hui, grâce à leurs soins intelligents, de grosses métairies; à peu près tout ce qui est compris entre Grâce, Couëlly, Le Clos, la Burdais et Bolhais.

Les noms des nouveaux propriétaires disent assez quelle heureuse influence ils exercèrent sur le pays.

Le Cour est le chef de la famille qui a donné deux sénateurs au département et qui s’honore d’être toujours au premier rang pour le service de la France et de la religion. M. Le Quen d’Entremeuse, son gendre, devenu propriétaire de la terre de Grâce, désirait en faire son lieu de résidence. En peu d’années, il conquit une profonde autorité. Ravi trop tôt, hélas ! Victime de son zèle au service de Dieu (c’est en portant le dais à Grâce, le jour de la Fête-Dieu, qu’il fut frappé d’une insolation, des suites de laquelle il mourut douze jours après), il a passé en laissant un regret vivant et cher : son intelligence élevée, sa piété (il avait voulu être prêtre et jésuite) et une douce simplicité le mêlaient aux humbles paysans sans affectation et sans bassesse. On peut dire de lui qu’il fut l’homme de Grâce : il aimait, il était aimé et suivi. M.Babin-Chevaye était l’homme bon et populaire par excellence. Nantes en fit son député catholique en 1871. Il mourut au moment où s’achevaient la réparation et l’agrandissement de son petit castel du Pré-aux-Sourds, où il comptait venir jouir d’un repos bien mérité. Madame Babin qui lui survécu, fut longtemps la providence de Grâce, qu’elle affectionnait particulièrement: l’église, l’école religieuse, les pauvres lui doivent reconnaissance des bienfaits aussi nombreux que délicats. Ses enfants n’ont pas seulement hérité des terres, ils gardent comme un précieux héritage de famille les sentiments de leurs parents, et ce n’est pas présomption de notre part de dire que leur préférence sera toujours pour l’agréable castel du Pré-aux-sourds, patrimoine de famille. M. Louis Babin et M. Marcel Bureau tiennent à honorer de continuer ces nobles traditions, et Grâce leur rend en estime et en sympathie ce qu’ils ont fait pour son bien matériel et religieux. Heureusement les populations qui ont à leur tête des familles honorables et chrétiennes, toujours à donner le bon exemple et à se dévouer au bien commun.

La division des idées subversives n’y pénètre pas, l’exemple partant de haut est d’une salutaire influence.

En suivant le Canal…

Le canal de Nantes à Brest suit le cours de l’Isac et partage la paroisse en deux parties à peu près égales, que relient entr’elles les ponts de Melneuf et de Pont-Nozay et le bac de la Touche; deux écluses en retiennent les eaux.

Sans avoir les commodités ni les avantages d’une voie ferrée, le canal sert beaucoup au commerce local: dix bateaux chaque jour emportent ou amènent, de Nantes à Redon, les bois, les grains, les engrais, les matériaux de construction et au besoin les denrées alimentaires.

Mais tandis que le prosaïque chemin de fer fatigue et gêne, les rives poétiques de notre canal enchantent et reposent; chose appréciée des amateurs.

Descendons si vous le voulez bien, le fil de ses eaux claires et lentes, dans tout le parcours de notre paroisse, c’est à dire de La Touche à Carheil (environ deux lieues soit huit kilomètres).

Sur la rive droite, La Touche, beau et grand village. Vous plaît-il de visiter? Vous recevrez l’hospitalité chez le bon père Legrand, premier adjoint de Grâce depuis quarante ans, c’est-à-dire, qu’il est le roi du village.

A gauche et en face, Lévrisac avec la ferme de La Cour et les vestiges du vieux château de la Motte-Isac. Ce nom de Lévrisac n’est-il pas son étymologie, et ne serait-point les lèvres de l’Isac (bords resserrés et escarpés) que le château gardait ?

A droite, Quinhu s’étend mollement à mi-côte entre les moulins de Haut-Breil et l’Isac, sur ses coteaux réputés dans toute la contrée, comme étant les plus fertiles et les plus riches en bon cidre. Ce village est séparé du canal par les bois du Plessis comme celui de Lévrisac l’est par les bois du Pré-aux-Sourds dont les vallons serpentent les prairies qui laissent apercevoir dans une échappée la silhouette du gentil manoir.

Immédiatement en aval de Pont-Nozay, à gauche, les coteaux abrupts et les bois de la Houssais gardent toujours le secret du mystérieux suicidé de 1860.

Plus près de Grâce, faisant face à la Houssais et se baignant dans le canal, le logis d’Evedet, propriété de Monsieur Paul Gruget, employé au ministère de l’intérieur, remplace un ancien prieuré, ayant lui-même succédé à une ancienne léproserie dédiée à Saint Thomas, dont on voit encore la fontaine; les murs d’une partie intérieure de la maison dénotent une ancienne chapelle. Ce prieuré relevait, si nous ne trompons, de l’abbaye de Saint Gildas-de-Rhuys, dont les marquis de Coislin étaient seigneurs.

Là résidaient, avant la révolution, un prieur ou chapelain; les biens qui dépendaient du prieuré furent vendus comme biens « dits nationaux »; un M. Lefrançois en devint ensuite acquéreur et les revendit vers 1860 à M. René Gruget qui a fait restaurer et agrandir la maison, il y a une vingtaine d’années.

Quelle est sur la rive opposée cette chaumière cachée comme un nid de verdure? C’est Juzan; là tout est antique, c’est le vieux Grâce. D’aucuns prétendent que la mer jadis y faisait sentir son flux (le jusant d’où ce nom Juzan); la canalisation a mis depuis des barrières à la mer même. A Juzan, l’honneur et le soin de garder le monument et la fontaine célèbre de Notre Dame de Grâce. Il ne faillira pas à ce devoir.

Après l’écluse et le pont de Melneuf, le canal s’éloigne de la Douettée, mais pour reparaître bientôt sur un autre point. Par un circuit capricieux; mais ravissant, la rivière, après avoir caressé le bois (Bois sacré qui fut arrosé du sang d’un prêtre martyr) et le village de l’Ongle, sur son rocher, retourne vers la Douettée, enlace dans ses plis amoureux une riche plaine, coule doucement au pied du château de Carheil, semblant quitter à regret cette délicieuse vallée pour se rendre dans les marais de Fégréac et enfin se jeter dans la boueuse Vilaine.

C’est ce beau site que couronnent aujourd’hui le grand calvaire et la flèche aigüe du clocher de Notre Dame de Grâce.

Nous n’avons point la prétention d’avancer que le pays doit à l’établissement du culte religieux le développement de son agriculture et de son commerce. Loin de là; la religion n’est pas comme quelques-uns le pensent une affaire commerciale. Nous savons ce que le temps et l’esprit d’initiative, aidés des facilités de communication, ont fait dans ce genre, mais ce qui est incontestable, c’est que la formation d’un groupe religieux est le meilleur moyen de donner la vie à toute une population de croyants et d’établir des relations si favorables aux affaires.

Notre Dame de Grâce est un pays essentiellement religieux. Une race forte, industrieuse, unie dans les traditions qui font les cœurs généreux et dévoués, y vit et fournit en différentes situations de bons serviteurs à l’église et à la France.

Ici, grâce à Dieu, nous ne connaissons pas les luttes intestines qui brisent l’élan pour le bien. Unis dans les mêmes croyances, nous jugeons tous que rien n’est comparable au sol que nous cultivons, plus agréable que la famille, plus cordial que l’entente dans nos villages, plus doux au cœur de nos fêtes religieuses

Nous aimons nos églises et l’hôte divin qui y habite; nous les aimons comme les aimaient nos pères, et tant qu’il ne sera pas prouvé qu’on est plus heureux en reniant son passé et sa foi, nous gardons respect en nos prêtres et fidélité à Dieu.

L’Orgue Polyphonique Debierre

Cet orgue équipe l’Eglise de Notre Dame de Grace.
L'Orgue Polyphonique Debierre

L’Orgue Polyphonique Debierre

Fabriqué en 1876 dans les ateliers Louis Debierre qui se situaient à l’époque dans la rue Préfet Bonnefoy à Nantes, cet orgue appelé orgue polyphone porte le numéro 8 dans la série de ce type fabriqué à 18 exemplaires.

Vendu une première fois à la paroisse de Cuon près de Beaugé en Maine et Loire, il a été revendu à la paroisse de Notre Dame de Grâce en 1880. Il fut alors le premier de ce type vendu en Loire Inférieure.

Cet orgue est composé de quatre demi-jeux de fond avec tuyaux en bois de huit pieds, appelés Bourdon-Flute et salicional, ainsi que de deux demi-jeux avec tuyaux métalliques de quatre pieds appelés Prestants.

S’y ajoutent deux demi-jeux à partir du Do-3, l’un étant une voix céleste, l’autre est une Trompette à anches de huit pieds.

Le son velouté exceptionnel des Prestants est le résultat d’un excellent paramétrage.

Les touches du clavier sont recouvertes d’ivoire et le buffet qui est en chêne massif renferme 232 tuyaux.

Cet orgue a été transporté dans une charrette à cheval, de Nantes à Notre Dame de Grâce le 24 décembre 1880 par Pierre Violain*, beau-père de Herblain Millet et grand-père maternel de Pierre Millet.

Il était prévu que l’instrument devait « sonner » la messe de minuit, mais à cause d’une tempête de neige dans les bois des environs de Malville, l’orgue est arrivé après l’office !

Le grand père Violain était désolé et vexé, mais tout fonctionnait pour la grand messe du jour de Noël !

Cet orgue a survécu au bombardement qui a détruit l’ancienne église le 7 décembre 1944 et il a été restauré en 1955 puis équipé d’une soufflerie électrique en 1980.


* Pierre Violain est né au village de La Garenne le 08 décembre 1854 et décédé le 02 mars 1929 au bourg de Notre Dame de Grâce.

(Edité avec le concours des Ets Lacorre et Robert, facteurs d’orgues à Nozay, successeur des Ets Debierre, Bouvet, Renaud.)

Orgue ND de Grace 1Les organistes successifs :

Julien Thébaud

Madeleine Millet

Marie Thébaud

Jean-Marie Chatelier

Yves Millet

Armand Martin

Sœur Mélanie Jubaire

Joseph Robert