Un lieu de culte, la chapelle de Notre Dame de Grâce

(Source : Almanach 1908 ?) 

Dans la partie sud-ouest de la commune de Guenrouët, sur la rive gauche de l’Isac à deux pas de celle-ci, pour ainsi dire, à l’ombre du château princier et des hautes futaies de Carheil, s’élève une modeste église paroissiale : Notre Dame de Grâce. Il y a seulement soixante ans (22 juillet 1844) qu’elle a été décorée de ce titre; jusque là ce n’était qu’une modeste chapelle rurale dépendant de Guenrouët. Mais elle n’en est pas moins célèbre dans les fastes de la contrée, peut-être remonte-t-elle aussi loin que la paroisse mère qui, pourtant, n’est pas jeune.

Les seigneurs voisins, des Carheil d’abord, ensuite des Coislin, revendiquaient les titres de seigneurs fondateurs et prééminenciers dans la chapelle de Grâce, ainsi que dans l’église de Guenrouët; ils y conservaient jalousement leurs droits de banc et de tombeau; leurs armoiries, peintes sur la litre des murailles aussi bien que sur les vitraux, témoignaient orgueilleusement de ces droits. Et comme l’intérêt dans la vie, les Cambout de Coislin, qui n’étaient pas sans voir, des fenêtres de leur maison, l’affluence des pèlerins à certains jours, en conclurent qu’il serait bon d’établir des foires à leur profit sur le « pâtis » de la chapelle.

Ils en sollicitèrent la création, et voilà comment le 1er mars 1578, le Parlement de Bretagne apposait son visa sur une ordonnance royale accordant à Monsieur De Cambout vicomte de Carheil, trois jours de foire par chacun an « au bourg de Grasse »: à savoir le mardi de la Pentecôte, le jour de la St Jean-Baptiste, et à la fête patronale du lieu: « Notre Dame de Septembre ».

Les seigneurs de Carheil montraient leur sollicitude pour Notre Dame de Grâce en cherchant à en tirer honneur et profit. D’autres seigneurs, bien autrement puissants, manifestèrent la leur d’une manière plus désintéressée, en comblant la modeste chapelle de leurs bienfaits. C’étaient les ducs de Bretagne ou au moins deux princes de la maison de Montfort, si pieusement généreuse qui couvrit de monuments splendides, consacrés à Dieu et à la Vierge toute la terre de Bretagne, et particulièrement le sol nantais.

Mais pourquoi nos ducs pensaient-ils à cette humble chapelle de Notre Dame de Grâce? Hasardons d’abord des conjectures:

Alain le Grand, roi de Bretagne, après avoir battu glorieusement les pillards normands, vers la fin du IXe siècle, s’était retiré dans son château de Plessé. Bleb Sei, comme l’écrit l’auteur de la chronique nantaise; Plou Sé, d’après la traduction de grand historien breton: A. de la Borderie. C’était, non pas au chef-lieu actuel de cette paroisse, mais à cinq kilomètres de là, sur un rocher abrupt qui domine l’Isac et que marque toujours l’antique chapelle de Saint Clair, probablement contemporaine du grand batailleur; si elle n’est pas plus ancienne encore. Alain y tenait cour nombreuse, seigneurs et hommes de guerre s’y pressaient autour de lui.

La chronique de Nantes nous apprend que l’évêque de cette ville, Foulcher, y vint lui rendre visite et lui demander des faveurs pour son église désolée.

Sur la rive opposée de l’Isac, s’étalant au flanc d’un coteau encore plus élevé que celui de Saint Clair, on voyait la petite bourgade de Guenrouët. Alain la fit ériger en paroisse et la dota de sa première église. Est-ce à la même époque qu’on éleva la Chapelle de Grâce, dont l’origine se perd dans la nuit des temps ?

L’apparition de la Vierge en ce lieu dont parle la légende, fut-elle connue du Châtelain de Plessé? Est-ce pour cela que les sires de Carheil, seigneurs de ce pays, après Alain le Grand, possédèrent comme lui des droits de fondation dans les deux églises?

Est-ce pour cela enfin, que les ducs du XVème siècle, conservèrent une grande dévotion envers la sainte de ces lieux?

Ce sont là des questions auxquelles je ne saurai répondre; et pourtant je me sens incliné à chercher dans ce lointain passé l’origine de la dévotion de nos ducs à Notre Dame de Grâce?

Un historien nantais que tous les autres ont copiés affirme, sans donner de preuves, qu’Arthur III aimait, et avait considérablement enrichi la chapelle de Grâce. En effet, pendant que ce prince n’était encore que le comte de Richemond, connétable de France, et qu’il bataillait aux cotés de Jeanne d’Arc pour délivrer notre pays du joug de l’anglais, son frère le duc Jean V, lui avait abandonné la jouissance de la seigneurie du Gâvre. Arthur aimait cette terre où, mieux que partout ailleurs, il pouvait se livrer aux plaisirs de la chasse, cette vivante image de la guerre qu’il aimait tant. Ce fut même lui qui rebâtit le château, jadis détruit par Olivier de Clisson.

« Je veux à dieu, disait-il je ferai une belle place et maison ». Et pendant de longues années, il consacra à cette entreprise les 25000 livres -somme énorme pour l’époque- que lui donnait le roi de France pour sa charge de connétable. Notre Dame de Grâce n’était qu’à une courte distance du château, et l’on comprend que le prince, qui était un Montfort, pieux par conséquent, malgré sa rudesse de soldat, ait fait ce pèlerinage et y ait laissé des marques de sa magnificence.

Nous pouvons donc, sans preuve, croire les historiens. Mais ce qu’aucun d’entre eux n’a dit et ce qui est pourtant certain, c’est que Jean V, son frère et son troisième prédécesseur sur le trône de Bretagne, fit un voeu et un pèlerinage à Notre Dame de Grâce en des circonstances solennelles.

On connaît la guerre de succession de Bretagne et la lutte entre les deux maisons rivales de Penthièvre et de Montfort. Celle-ci finit par l’emporter, et Jean IV, un Montfort, fut reconnu de tous comme Duc de Bretagne. Son fils Jean V lui succéda sur le trône ducal. Il régnait depuis vingt ans quand la haine sournoise et félonne des Penthièvre faillit renouveler le fléau de la guerre civile. Jean V invité par eux à les visiter dans leur terre de Châteauceaux (Champtoceaux ?) fut traîtreusement arrêté, chargé de chaînes, accablé d’injures, menacé d’une mort horrible, traîné de château en château, de forteresse en forteresse, pendant plusieurs mois et finalement jeté dans un cachot de Châteauceaux même. Toute la Bretagne se leva et vint tirer le duc de sa prison.

Mais Jean V s’il comptait sur ses féaux et ses preux chevaliers, comptait sur ses protecteurs du Paradis. Il avait multiplié les voeux: il en avait fait à N.D. Des Carmes, dont nous reparlerons; il en avait fait un à N.D. du Folgoët et à St Yves; il en avait fait aussi un à N. D. de Grâce. J’en trouve la preuve dans un mandat de paiement par lequel il ordonne à son trésorier de rembourser quarante écus d’or empruntés pour acquitter les voeux faits dans sa prison: à St Julien de Vouvantes, à Redon, à N.D. de Grâce, à prières et es chapelles de N. D. de Bodon et du Méné!!

Jean V, à peine délivré avait voulu accomplir ses voeux. Il commence par N.D. Des Carmes; ensuite il envoya des représentants aux sanctuaires trop éloignés qu’il ne pouvait visiter immédiatement: tels que le Folgoët et St Yves de Tréguier. Mais il n’en était pas ainsi des église que j’ai nommées tout à l’heure.

Les états de Bretagne étaient convoqués à Vannes pour juger les Penthièvre. Jean V résolut d’acquitter ses voeux avant de s’y rendre, ou plutôt en s’y rendant. Délivré le 6 juillet 1420, il était dans le courant du même mois, à Chateaubriant, d’où il se rendit à St Julien; de là à l’abbaye des prières; puis enfin à Vannes, où se trouvaient les chapelles de Bondon et du Méné. Le duc n’avait oublié que de remplir sa bourse; peut-être ne l’avait-il pas pu, car son trésor était à sec: il avait tout donné à N.D. des Carmes.

Depuis, l’humble chapelle a-t-elle reçue d’aussi nobles visiteurs? Peut-être car la belle-fille de Jean V , Françoise d’Amboise, passa six mois dans son château du Gâvre, où elle perdit sa mère, et il ne serait pas surprenant qu’elle eut fait un pèlerinage au sanctuaire tant aimé de son beau-père et de son oncle. De plus un historien prétend qu’une Marguerite de Bretagne, qui ne peut-être que la soeur de Jean V et d’Arthur III, femme d’Alain de Rohan laissa en 1428, trente sous de rente à N.D. De Grâce pour la célébration d’une messe annuelle; et si le fait est exact, nous pouvons en conclure que la pieuse princesse aima comme ses frères, notre petite chapelle et la visita souvent. Sans doute, en des temps plus rapprochés de nous les grands seigneurs du voisinage: les Coislin de Carheil, les Rohan de Blain, la visitèrent à leur tour, mais les Coislin et les Rohan eux mêmes étaient des petits compagnons auprès des ducs de Bretagne.

L’histoire ne dit presque plus rien de notre sanctuaire. Nous savons cependant que la piété du peuple y entretenait un chapelain et que les fidèles des alentours s’y rendaient assidûment le dimanche et les jours de fête. La preuve c’est que le 14 juin 1656 une sentence de l’officialité faisait défendre aux prêtres de Grâce de célébrer la messe dans la chapelle aux heures des offices paroissiaux.

La défense n’a plus de raison d’être. N.D. de Grâce est désormais paroisse. On n’y célèbre plus, il est vrai, comme fête patronale N.D. de Septembre; mais la piété et la confiance en Marie n’ont pas faibli; le peuple répète toujours qu’une apparition de la Sainte Vierge a fait ériger le sanctuaire, la foule a toujours demandé des guérisons à l’eau miraculeuse de la fontaine de Riaveau; et de toutes les paroisses du voisinage: de Guenrouët, de Plessé, de Campbon, de Quilly, de Montoir même on s’y rend en pèlerinage.

Que nous ayons le droit d’appeler Marie : Notre Dame de Grâce , il semble superflu de le démontrer.


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