Pierre l’Etourmy 

(Source : Pierre Millet – Almanach 1913) 

Piere L’Etourmy, fils de François et de Julienne Caris, naquit à Quinhu le 14 décembre 1735. Il fut ordonné prêtre en 1765 et vint se fixer à Guenrouët. A cette époque, où le clergé était plus nombreux qu’aujourd’hui, il n’était pas extraordinaire de voir les prêtres résider dans leur paroisse natale, et d’y exercer les fonctions de vicaire ou d’instituteur. Sans doute M. L’Etourmy était prêtre auxiliaire à Guenrouët. En 1769 il fut nommé vicaire au Grand-Fougeray, paroisse importante faisant encore partie de Nantes. Elle fut donnée au diocèse de Rennes par le Concordat. En 1771 il redevint vicaire de Guenrouët et chapelain de Grâce. Il y résidait depuis une vingtaine d’années, quand éclata la Révolution.

L’émeute avait ramené le roi Louis XVI de Versailles à Paris; l’assemblée constituante l’y suivit. Une fois installé, elle s’occupe de donner une constitution nouvelle à la France. Cette constitution fut promulguée le 14 septembre1791. Elle renfermait des réformes politiques et administratives: parmi ces réformes, plusieurs étaient utiles et constituaient un progrès, d’autres étaient mauvaises et injustes: de ce nombre celles qui anéantissaient l’autorité du roi, et celles qui prononcent la confiscation des biens et la constitution civile du clergé. D’après cette constitution les évêques et les curés devaient être nommés par le peuple, les couvent supprimés, les voeux monastiques rompus et les rapports de soumission au Pape et aux évêques annulés. Tout éclésiastique, sous peine d’être privé de ses fonctions et plus tard mis à mort, devait faire le serment d’adhésion à cette constitution. – Reconnaissez dans les associations culturelles du ministre actuel de la séparation, M. Briand, le reproduction de la Constitution civile. Nos ennemis n’inventent donc rien de nouveau pour la persécution.

Le clergé, tant qu’on ne s         ‘était contenté d’attendre ses intérêts matériels, s’était résigné: maintenant qu’on renversait l’ordre de la juridiction spirituelle, il ne pourrait se taire. Tous les prêtres honnêtes  refusèrent de prêter un serment opposé aux devoirs  de la conscience. Les chemins de l’exil furent dès lors sillonnés de ces pauvres prêtres chassés de la patrie comme d’odieux malfaiteurs. Quelques-un demeurés à leur poste étaient dénoncés, traqués comme des bêtes fauves. M. L’Etourmy fut de nombre. Il se tenait caché dans les environs de Grâce où le pays, connu et très boisé, lui offrait un facile refuge. Estimé d’ailleurs, aucun de ses compatriotes n’eût voulut commettre le lâche forfait de le dénoncer. Voici ce que raconte à ce sujet M.Orain , qui lui survécu et en tenait le récit des témoins eux-mêmes. Nous ne pouvons mieux faire que de le reproduire à la lettre.

Il se retirait souvent dans un bois sur la rivière d’Isac (aujourd’hui le canal)  dans un endroit où elle était profonde mais très peu large, il avait une planche de longueur convenable par le moyen de laquelle, quand il était poursuivi d’un côté, il passait de l’autre. Un jour pendant qu’il était à prendre un léger repos dans sa chaumière il survint  tout à coup un Bleu qui y entra, et qui, ne le connaissant pas lui demanda: « Que fais -tu là? Ne vois-tu pas que je suis à manger un morceau? Est-ce qu’il n’est pas temps avoir bien travaillé? – Tu es un brigand – Moi, un brigand, tu ne t’y connais pas mal: va plutôt demander à ceux du village voisin si je ne suis pas d’ici. – Qu’est-ce que tu as à boire  dans cette bouteille? – C’est du vin, vraiment en veux-tu boire un coup? – Volontiers. – Tiens , mais ne bois pas pourtant pas tout, car je serai bien aise d’en avoir un peu quand j’aurai fini mon ouvrage. » Le bleu en but et s’en alla.

M.L’Etourmy pensant que le bleu n’était probablement pas seul, et qu’il pourrait en faire venir d’autres, ramassa ses petits effets et, par le moyen de la planche passa la rivière et la retira de l’autre côté, il alla se cacher dans le bois. Quelques instants après, il aperçu des bleus qui vinrent avec le premier, qui cherchèrent et fouillèrent partout. Ils essayèrent de passer la rivière, mais ils la trouvèrent trop profonde pour oser s’exposer à le faire.

Après des peines et des dangers il venait de faire faire  la première communion à un bon nombre d’enfants de la paroisse et des environs, ce fut sa dernière bonne oeuvre.

Dénoncé aux bleus par un hors venu, habitant Quinhu, natif de Conquereuil, et dont les mémoires ont gardé le nom pour le flétrir: Pihuit ! M. L’Etourmy fut saisi dans un grenier de la Touche, le jour même qu’il avait fait faire cette première communion.

Fatigué des travaux auxquels il s’était livré, il se retira dans une maison pour se jeter sur un lit afin d’y prendre un peu de repos, des femmes accoururent avec empressement  lui dire: « Monsieur sauvez-vous voici les bleus qui viennent ici pour vous prendre. » Il ne voulut pas le croire: « Ces femmes là, dit-il, sont toujours épouvantées, tout ce quelles voient leur paraît des bleus, je suis sûr que c’est une fausse alerte comme les autres ». Un instant après d’autre personnes arrivèrent et dirent: « Non Monsieur ce n’est point une fausse alerte, les voilà qui viennent tout droit ici et vous n’aurez même pas le temps de vous enfuir ». Il se lève promptement et essaie de s’échapper dans les bois, mais il n’en est plus temps; les bleus l’aperçoivent et le saisissent. « Est-tu un prêtre, lui dirent-ils ! – Oui sans doute je le suis – As-tu fait le serment? – Non sûrement, et je ne le ferai jamais – Si tu veux le faire tu auras ta grâce – Croie-tu que pour te plaire je voudrais trahir mon Dieu et mon devoir? – Si tu ne veux pas le faire tu seras fusillé – Je sais bien que je n’ai pas d’autre chose que cela à attendre de vous autres ». Il fut amené par les bleus, les mains liées derrière le dos à Grâce et enfermé dans la chapelle pendant la nuit. Le lendemain les soldats républicains insensibles aux supplications des paroissiens l’emmenèrent au bois de l’Ongle et le fusillèrent. Il tomba frappé de trois balles , l’une au front, l’autre au-dessous de la gorge , l’autre au bas de la poitrine. Les barbares soldats laissèrent sur le terrain le corps ensanglanté, mais de pieuses femmes, la femme Rousseau de l’Ongle et Marguerite Bugel de Juzan, l’ensevelirent, et la nuit suivante il fut transporté sans bruit dans une charrette au cimetière de Guenrouët. Bon nombre de personnes assistèrent à son enterrement arrosant de leurs larmes la dépouille mortelle de ce vaillant confesseur de la foi. Un beau soleil de Mai avait éclairé cette scène lugubre; c’était en effet le 17 Floréal de l’an IV de la République, correspondant à notre mois de mai 1795, que fut tué M. L’Etourmy. Le régime de la terreur, souillé d’un déluge de crimes touchait à sa fin? Robespierre lui-même allait porter à l’échafaud sa tête ruisselante de sang: trop juste châtiment de la justice immanente de Dieu. Un autre coupable payait également par une triste mort le prix de sa trahison. Détesté de tous, redouté et délaissé, Pihuit, dit-on se noya dans l’Isac avec son chien , ou fut noyé par les voisins indignés.

Une tradition bien respectable indique l’endroit précis ou fut fusillé le saint prêtre.

Au milieu du bois de l’Ongle, en face le majestueux château de Carheil, dans le vaste cirque qu’il décrit autour d’une grande prairie, se trouve une source couverte d’épais ombrages, et une ancienne carrière remplie d’eau. Vu de Melneuf, le site est superbe et semble créé pour de plus beaux souvenirs. Là , sous les feuilles des chênes et des saules on entend un léger bruit, c’est le gémissement perpétuel et plaintif du ruisseau dont les eaux furent teintes du sang d’un martyr. C’est-là en effet qu’il consomma son sacrifice.

Rien de plus saisissant pur le pèlerin, qui comme nous aime visiter ce lieu sauvage et béni. Il y puise un réconfort de foi et de vie chrétienne. Frisson d’horreur, et de colère contre l’impiété, folle et cruelle de la Révolution, fierté d’être descendants d’un peuple fidèle, courage enfin et ferme volonté de garder ses croyances au prix même du sacrifice. Tels sont les sentiments qui envahissent l’âme . Le sang des martyrs est véritablement une semence de bons chrétiens.

Habitants de Grâce, gardez ce précieux souvenir.


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